Et si le début de l’année était l’occasion de faire le point sur nos compétences ? C’est ce que je me suis dit, ce lundi 21 janvier 2019, en allant à la Maison du Management, un lieu inspirant autour du management et de la transformation des organisations, pour écouter la présentation Jérémy Lamri, co-fondateur du Lab RH et auteur du livre « Les compétences du 21e siècle ». Même s’il parait particulièrement dans l’ère du temps, le sujet des compétences est en réalité récurrent : dès la fin des années 90, les premiers acteurs de la tech avaient identifiés les potentiels impacts des transformations du travail sur les compétences des collaborateurs. C’est ensuite l’OCDE, quelques temps plus tard, qui a décrit les 4C (la créativité, l’esprit critique, la communication et la coopération), comme les compétences du 21e siècle. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Buzzwords ou avancées scientifiques ? Le point avec Jérémy Lamri, dans une restitution -incomplète et sans doute imparfaite- de cette passionnante conférence.
Difficile à circonscrire que cette notion de compétences … autant que des concepts comme "moyen de transport" ou encore "institution". Jérémy Lamri nous propose donc de retenir une définition qui fait consensus dans la communauté scientifique et selon laquelle une compétence réunirait trois paramètres : le « savoir-agir » (je sais appliquer une technique ou un comportement), le « vouloir-agir » (j’ai envie de l’appliquer) et le « pouvoir-agir » (j’ai les moyens de l’appliquer dans un contexte donné qui y est favorable). Finalement, si l’une de ces 3 conditions n’est pas réunie pour permettre à un individu d’exprimer sa compétence, alors il survient un sentiment d’incompétence, seule et véritable origine du stress et mécanisme de survie activé par le cerveau.
Car parler de compétences nécessite de revenir sur le fonctionnement du cerveau, dont les neurosciences nous apprennent davantage chaque jour.
Plus qu’un long exposé, j’ai essayé de schématiser les enseignements transmis par Jérémy dans la petite sketchnote suivante (on ne se refait pas …) :
En réalité, rappelle Jérémy Lamri, notre cerveau n’est pas fait pour stocker des informations pendant 20 ans (et nous permettre de nous rappeler de la date de la bataille de Marignan pendant une conférence qui n’a rien à voir…), mais pour capter, traiter une multitude d’informations (notamment fournies en permanence par nos 5 sens) afin de trouver une réponse adaptée à l’environnement en face d’un problème donné : c'est ce que faisaient les premiers Sapiens au quotidien pour se nourrir, trouver un abri, etc. Autrement dit, résoudre des problèmes fait partie de nos compétences d’origine. Seulement, avec les progrès réalisés par l’Humanité dans ces 20 000 dernières années, étant arrivé au sommet de la chaine alimentaire, et avec un système éducatif basé essentiellement sur l’apprentissage de connaissances, l’homme a perdu le réflexe de résoudre des problèmes. Mis à part quelques individus au sein de la société (experts, ingénieurs, …) qui travaillent à trouver des solutions, notre 20e siècle, caractérisé par une société productiviste, s'est basée sur des process que chacun de nous a juste répéter, faisant appel à notre pilote automatique (le lobe pariétal) pour restituer les savoirs et techniques apprises.
Une autre avancée des neurosciences que nous rappelle Jérémy Lamri est celle de la découverte des neurones pyramidaux. Par rapport aux autres neurones de notre système cérébral, ceux-ci ont 3 caractéristiques qui les différencient : leur axone sont 3 à 4 fois plus longues que celles des neurones classiques leur permettant de relier des zones différentes du cerveau, ces mêmes axones font circuler les informations 100 fois plus vite que dans les neurones normaux et enfin, ils peuvent également se connecter à 40 fois plus d’autres neurones que les neurones classiques (jusqu’à 100 connexions par unité). Autrement dit, pour reprendre l’image de Jérémy Lamri, c’est une combinaison d’autoroutes grande distance sur laquelle l’information circule à la vitesse de la fibre optique !
Et les compétences dans tout ça ?
En réalité, on devrait davantage parler de capacités, plutôt que de compétences si l’on s’en tient à la définition (rappelée au début de ce billet) sur laquelle s’accorde la communauté scientifique. Bref, selon les travaux de l’ouvrage « Les compétences du 21è siècle » de Jérémy Lamri, on distingue 4 types de compétences. Si l’on reprend le schéma de notre cerveau, celles qu’on appelle les « compétences techniques » sont donc logiquement stockées du côté pariétal de notre cerveau, elles sont enregistrées comme des savoirs que nous pouvons restituer à la demande. Jérémy Lamri distingue ensuite les « compétences cognitives » dont les fameuses 4C font partie, par rapport aux « compétences comportementales » qui recouvrent plutôt des savoir-être nous permettant de répondre par des comportements adaptés aux stimuli de notre environnement. Enfin, les « compétences citoyennes » sont, selon lui, celles qui nous font comprendre, identifier et adhérer à l’ensemble des codes sociaux, qu’il s’agisse d’arriver dans une entreprise et de se fondre dans la culture, ou encore du vivre ensemble en société.
Nos 4 C sont donc plutôt « logées » dans la partie frontale de notre cortex. Que faut-il en retenir (enfin devrai-je dire, stocker dans notre lobe pariétal 😉) ?
La créativité d’abord désigne notre capacité cognitive donc, à générer des idées grâce à 2 types de pensée : une pensée dite convergente qui s’appuie sur le fonctionnement naturel du cerveau consistant à faire des liens entre des choses, des concepts, et une pensée divergente, c’est-à-dire notre capacité à produire des idées à priori très éloignées du problème initial : ce mode de pensée qui représente 2% seulement de notre logique créative, peut amener à des propositions évidentes pour une personne mais pas pour son entourage, comme non-conscientes pour cette personne elle-même. Cette pensée a la force d’oublier les paramètres qui composeraient à priori la solution pour ne s’intéresser qu’au problème : « Elle amène des idées réellement disruptives », explique Jérémy Lamri.
L’esprit critique, également appelé sens critique, correspond à notre capacité à challenger la logique d’un fait, une opinion, une idée. Elle fait appel à notre objectivité, c’est notre aptitude à analyser objectivement et à déceler quelque chose qui ne serait pas logique dans un discours, un événement… Autrement dit, c’est notre meilleure parade contre les fake news…
La communication est sans doute la capacité cognitive la plus technique, selon Jérémy Lamri. Elle consiste à être capable de transmettre et recevoir fidèlement un message. Or chacun sait, depuis les théories de la communication, que ce n’est pas aussi simple que cela : en dehors de l’expression verbale qui correspond à 7% du message, chacun de nous émet des signaux para-verbaux et non-verbaux qui composent les 93% restants ; ces signaux sont captés par nos interlocuteurs, filtrés par leur propre cadre de référence, etc. Ces multiples biais dans la communication sont pourtant contournables grâce notamment à des techniques comme la PNL (programmation neuro-linguistique). La véritable compétence serait donc de ne mettre aucune émotion/intention dans chaque message et de considérer a priori que notre interlocuteur est bienveillant… Loin d’être évident au quotidien, on est d’accord … !
Dernière compétence des 4C, la coopération implique notre capacité à travailler ensemble dans un objectif commun. Elle fait appel à notre place dans un groupe, et de ce fait, remonte très loin dans notre expérience personnelle, touchant notre besoin de reconnaissance, notre peur de ne pas être aimé... Développer sa compétence de coopération, c’est arriver à faire en sorte que chacun amène sa meilleure contribution et en même temps, trouve sa meilleure place dans le groupe, pour parvenir à l’objectif partagé. La difficulté étant que dans un groupe, certains individus ne sont pas dans cette dynamique, pour différentes raisons, par malveillance pure ou tout simplement parce qu’ils ne sont pas à leur place mais refusent de l’admettre…
En somme, développer nos 4C, c’est développer nos capacités à produire de nouvelles idées, à les challenger, en toute bienveillance, humilité et objectivité, et de communiquer et de coopérer sans intention autre que la résolution d’un problème… Mais ne serait-ce pas là ce qu’on appelle couramment l’intelligence collective ? C’est bien grâce à ces capacités qu’un groupe peut créer de la valeur dans des conditions positives qui minimisent les frictions.
Alors que faut-il en retirer pour l'entreprise ? Au sein des organisations, Jérémy Lamri invite les RH à se pencher sur les enseignement des neurosciences, de la psychologie et de la sociologie pour réinventer le métier RH et accompagner les salariés et les managers dans les transformations : sortir d’une logique d’application de techniques, de process et d’outils qu’ils s’agissent de recruter, de former, d’accompagner, sortir de la logique du diplôme, encourager la (neuro)diversité notamment dans certains métiers en tension, mettre en place du co-développement entre pairs pour encourager la résolution de problème dans la bienveillance... La difficulté étant que les responsables RH n’ont pas toujours le mandat de la direction pour aborder les problématiques internes sous cet angle. Et se positionner en corporate hacker, en tant que RH, se fait parfois au prix de beaucoup d’énergie et de fracture personnelle… Pourtant ces approches nouvelles pourraient nourrir l’expérience collaborateur et contribuer à l’attractivité et la rétention des talents...
Alors que les études portant sur l’IA annoncent que la robotisation va détruire de nombreux métiers, certaines capacités resteront proprement humaines, parce que non routinières et nécessitant la résolution de problème que des machines ne pourront pas automatiser. Comme le conclut Jérémy Lamri, faisant référence à la théorie des 8 intelligences de Gardner, les 4C ne s’expriment pas chez tous les individus de la même façon comme les neurones pyramidaux de Franck Ribéry et d’Einstein ne connectent sûrement pas les mêmes zones de leur cerveau. Et cependant, 92% des humains naissent avec le même potentiel cognitif et comportemental… Le sujet des compétences de demain est donc avant tout un sujet d’équité sociale : quelle société voulons-nous au 21e siècle, pour permettre à chacun de développer ses talents ?
par Gaëlle Roudaut