Jugé trop long, trop formel, source de tension pour les salariés comme pour les managers, l’entretien annuel d’évaluation n’a plus le vent en poupe. Après avoir dominé la mode managériale depuis 20 ans environ, selon une étude de Zest menée en juin 2019, 91% des DRH le trouveraient inefficace, 31% des salariés le jugeraient démoralisant, et c’est encore du côté des managers qu’il est le plus décrié avec 95% d’insatisfaits par cette modalité d’évaluation de la performance. Certaines grandes entreprises, comme Netflix, Accenture ou encore Paris Aéroport l’ont tout bonnement abandonné, d’autres, comme Mazars, PWC ou encore Deloitte ont introduit le feed-back dans leur process d’évaluation, sur le modèle d’Adobe qui a remplacé l’entretien annuel par le feed-back il y a 4 ans. Dans un monde VUCA, où tout va plus vite, nous avons besoin d’échanges réguliers, entre managers et collaborateurs, voire entre collègues, pairs et même clients : un dialogue informel dont les retours sur le travail effectué engage dans une amélioration continue, gage de développement individuel et d’une performance plus durable.
Mais qu’en est-il exactement du feed-back, comment le pratiquer ? Comment le mettre en place en entreprise ? Quelle compatibilité avec les autres outils du dispositif RH ? Pour répondre à ces questions, les étudiants du Master GRH dans les Multinationales de l’IAE Gustave Eiffel et leur directeur Michel Barabel, organisaient le 3 juin dernier, un webinar « Innov RH » autour des témoignages de DRH : l’occasion de revenir sur les bonnes pratiques de cette modalité d’évaluation qui se manie avec subtilité. Synthèse et sketchnote.
Faire des retours aux collaborateurs sur leur travail est particulièrement sensible en cette période où le confinement et sa conséquence, le travail à distance, ont eu un impact direct sur la motivation des collaborateurs : selon la dernière enquête Worklife Harris 2020, 31% des collaborateurs interrogés ressentent une baisse du sentiment d’appartenance à l’entreprise et 56% se sentent engagés (par rapport à 67% en 2019). Le feed-back, avec son format régulier, qui permet de faire des retours à chaud sur les actions d’un collaborateur, semble une piste toute trouvée, comme en témoignent BNP Paribas Cardiff, Enedis, Cornestone et Deloitte, invités à partager leur expérience en table ronde.
Chez BNP Paribas Cardiff, le concept de feed-back a émergé il y a 4 ans environ : impulsé par le Groupe, conscient de la pénibilité et de la longueur de l’entretien annuel -quand il était réalisé- il a tout de suite été adopté par les métiers, et la filiale Cardiff en particulier, preneurs d’un suivi plus régulier des collaborateurs. Dans cette entité, le feed-back s’appuie sur la définition d’objectifs en nombre limité sur lesquels le manager peut formaliser son feed-back deux fois par trimestre ou encore saluer les performances remarquables au fil de l’eau de façon plus informelle : « la formalisation écrite n’est pas facile, explique Anne Congy, DRH de BNP Paribas Cardiff. Et d’autant plus qu’un autre principe du feed-back est de rester constructif, c’est-à-dire de permettre l’amélioration, et pas uniquement de faire un compliment ». L’entreprise a toutefois conservé l’entretien d’évaluation annuel qui donne l’occasion de réaliser un bilan de l’année au regard des objectifs et une synthèse des différents feed-backs échangés : « l’entretien est moins redouté et même facilité, il y a aussi moins d’effet de surprise car collaborateurs et managers ont échangé toute l’année sur le travail réalisé ». Le dispositif permet également de formaliser un feed-back entre collègues : « c’est davantage un clin d’œil, un encouragement, mais qui a le mérite de détendre les relations… Mais dans sa dimension managériale, complémentaire à l’entretien d’évaluation, le feed-back est un cadeau, que l’on peut accepter ou refuser, c’est un miroir tendu qui est précieux pour progresser ! ».
Chez Cornestone, Geoffroy de Lestrange, directeur marketing et communication, explique que l’outillage d’évaluation de la performance va du plus structuré au moins structuré : l’entretien annuel est également toujours utilisé, mais les sujets qui y sont abordés sont bien sériés, au cours de l’année, les feed-back réguliers du management permettent également de faire du lien avec les projets de formation et l’évolution des collaborateurs, auxquels une solution d’intelligence artificielle vient faire des recommandations complémentaires. Enfin, entre collègues, il est possible de s’attribuer des badges ou encore de solliciter des feed-back de façon anonyme afin de prendre en main sa progression.
Du côté d’Enedis, la conviction forte que la performance est liée à l'engagement des collaborateurs si le management et les comportements managériaux sont de qualité, sous-tend tout le dispositif qui fonctionne par expérimentation : dans certaines unités, le feed-back à 360 degrés est pratiqué et impacte directement la carrière, reconnaissance ou encore la rémunération des managers, ailleurs, les entretiens sont réalisés sur des thématiques à la carte (compétences, parcours professionnels, objectifs, reconnaissance, …), et enfin d’autres expérimentent le feed-back entre collègues. Pour Gérard Matencio, directeur délégué au sein de la Direction des dirigeants, talents et dynamique managériale, « le feed-back aide à parcourir le chemin en donnant à chacun les moyens de s’améliorer, quand l’entretien annuel, lui, définit la cible à atteindre. » Il insiste sur le fait que l’obligation de le formaliser peut nuire à son caractère offert et cadeau, car on pourrait reprocher au collaborateur de ne pas en avoir tirer parti... Et le sujet est d’autant plus sensible dans notre culture habituée, depuis l’école primaire, à mettre en avant les fautes plutôt que les réussites.
Pour Laurence Monnet Vernier, Partner Human Capital Practise leader pour Deloitte, l’enjeu du feed back, c’est de se développer et d’apprendre, surtout dans le monde du travail de demain où l’apprentissage sera une compétence-clé. Elle rappelle également que le management doit se faire en proximité et qu’à ce titre, le feed-back régulier contribue à un management connecté au travail réel des personnes. Chez Deloitte, cette pratique est liée à la vie de la mission chez les clients : temps de « check-in », « snapchot » réguliers pour photographier en temps réel les moments forts de l’activité du collaborateur en mission, temps de « check-out » pour faire le bilan. L’entretien annuel permet de faire la synthèse de ces échanges qui sont régulièrement donnés par les team leaders de mission et pas uniquement par le manager direct.
Alors le feed-back pour tous ? Pas si simple…
Selon Gérard Matencio, il n’y a pas de métier ou de situation où le feedback n’a pas d’utilité : « c’est un procédé qui permet de s’améliorer sans cesse, à partir du moment où il est sincère et mu par une bonne intention : il vient souligner à chaud quelque chose qui a été fait et montrer comment aller plus loin ». Cependant, s’il est pratiqué de façon mécanique et désincarnée, parce qu’il n’y a pas d’envie des managers ou des collaborateurs de tester ce dispositif, il peut être délétère : le Mais qui annule automatiquement une remarque positive ou encore la dérive du « sugar coating » qui consiste à glisser la critique sous une couche de compliment.
Laurence Monnet Vernier ajoute que c’est un effort de bien faire un feedback, et qu’il est important de professionnaliser et de former à cette pratique qui touche de près à l’intelligence émotionnelle de chacun : le formuler, le solliciter, l’accueillir… Pas si simple, ce feed-back !
D’ailleurs, Michel Barabel ajoute qu’un feed-back centré sur l’individu et non sur l’action réalisée peut être nuisible pour l’égo et source d’anxiété. Il sera également mieux pris en compte et entendu s’il émane du manager et non des collègues ou pairs. « Sa fréquence doit aussi être mesurée : trop de feed-back tue le feed-back et se rapproche du micro-management », indique Michel Barabel, précisant que la sécurité psychologique et la relation de confiance sont clés dans la pratique. Enfin, il rappelle que, comme tout dispositif RH, le feed-back doit s’inscrire dans la culture de l’organisation et son contexte et n’affranchit pas d’un état des lieux pour "designer" le dispositif le plus adapté, de même que celui-ci doit s’animer dans la durée pour ne pas que l’effet nouveauté passé, la pratique s’essouffle au bout d’une année. Et Geoffroy de Lestrange d’ajouter que l’introduction d’un dispositif de feed-back doit certes prendre en compte le point de vue des processus RH mais aussi celui des salariés : quel est leur intérêt ? en termes de reconnaissance, d’évolutions, de mobilités internes, à court comme à moyen-long terme… La congruence avec les autres outils RH est essentielle pour ne pas que le feed-back véhicule de fausses promesses et soit source de déceptions.
Et l’efficacité du feed-back peut se mesurer : dans les baromètres sociaux d’engagement des collaborateurs, ou encore en observant les taux de turn-over, d’absentéisme et même l’accidentologie, explique Gérard Matencio. Les performances opérationnelles d’une équipe qui le pratique, peuvent aussi servir d’indicateurs, à comparer avec celles du passé ou encore avec celles d’une équipe qui ne pratique pas le feed-back.
Tous les intervenants s’accordent : avec son aspect immédiat et constructif, multidirectionnel et plus complet que le classique entretien d’évaluation face à une situation donnée, les avantages du feed-back ne sont plus à démontrer pour les collaborateurs. Pour les managers qui l’expérimentent, il est une occasion de se reconnecter au métier et aux équipes, autant que de progresser sur leurs propres pratiques managériales… Il doit cependant être manié avec la précaution d’une relation humaine, pour ne pas tomber dans la superficialité ou les jeux politiques. En résumé, le feed-back : un subtil mélange de rendez-vous formels et informels, où la bienveillance et l’authenticité produiront, dans la durée, les fruits d’une relation de qualité, au service du développement de chacun.
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par Gaëlle Roudaut