Le 19 mars, l’association Vox Femina réunissait au CRI (le Centre de Recherches Interdisciplinaires) à Paris deux tables rondes d’expert(e)s mais aussi 6 lauréates 2018 du concours Femmes en Vue. Créé en 2010, l’association prône plus de visibilité des femmes experts dans les médias pour contribuer à combattre les stéréotypes traditionnels et croyances auto-limitantes et faire évoluer la société vers un meilleur équilibre hommes-femmes. Cette soirée clôturait la 5e saison du concours et lançait la 6e édition des Femmes en Vue, avec une thématique au cœur de l’actualité : la place des femmes dans la tech et le digital. Retour sur une soirée engagée et stimulante !
En introduction, Valérie Tandeau de Marsac, présidente de Vox Femina, rappelle que le travail de l’association n’est pas fini : si les femmes sont plus présentes dans les médias, elles restent encore beaucoup moins interrogées et leurs expertises moins mises en avant que leurs confrères masculins (82% des interrogés par les journalistes). Pour aller plus loin et introduire la thématique du numérique et de la place des femmes, François Taddei, directeur du CRI, et Brigitte Grésy, présidente du haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, rappellent que l’enjeu de la place des femmes dans la tech aujourd’hui est au cœur du développement de l’intelligence artificielle. En effet, pour une société plus égalitaire entre femmes et hommes, les travaux sur l’IA doivent prendre en compte l’égalité des sexes dans le design des machines, ou encore lutter contre les biais de sexe dans l’automatisation des process RH (tri de CV, matching de profils, …).
Le digital, un secteur de mecs ?
Pour évoquer le sexisme et la lutte contre les discriminations dans le secteur de la tech et du digital, la première table ronde a réuni 4 femmes : Sophie Viger, directrice de l’école 42, Flora Vincent, PhD, co-fondatrice de WaxScience (qui promeut une science ludique et sans stéréotype) et co-auteur de l’ouvrage « L’intelligence artificielle, pas sans elles ! », Samia Ghozlane, Directrice de la Grande Ecole du Numérique et présidente de Cyberelles et Amandine Rebourg journaliste chez LCI. Tout d’abord, on s’arrête sur quelques chiffres frappants : seulement 12% de techniciennes en informatique et 9% de femmes à la tête d’une start-up, 56% des femmes avec un poste technique qui quitteraient leur poste en milieu de carrière (source : Observatoire de l’Egalité) et 53% des étudiantes qui seraient victimes de sexisme pendant leurs études dans les milieux informatiques et numériques.
Et pourtant, selon les intervenantes, le phénomène serait plutôt récent : Samia Ghozlane rappelle en effet, qu’en plus des femmes célèbres qui ont contribué aux premières avancées scientifiques et techniques en informatique (premier ordinateur, …), les femmes avaient jusque dans les années 60 plutôt les aptitudes pour apprendre à coder et travailler dans l’informatique : curiosité, patience et même leur qualité pour tricoter ! Mais à partir des années 80 et la démocratisation des premiers ordinateurs domestiques souvent offerts en cadeau aux petits garçons de la famille, le milieu de l’informatique se masculinise.
« Heureusement, 3/4 femmes ne subissent pas de remarque liée à leur genre au moment du recrutement », indique Samia Ghozlane. « Cependant, avec la transformation digitale des organisations, le numérique est devenu un enjeu de pouvoir pour les entreprises et les hommes savent mieux se positionner », poursuit-elle.
Flora Vincent ajoute qu’il est urgent de prendre conscience de la « contagion sexiste » et de tous les biais de discrimination de l’IA : critère de performance, représentativité des bases de données,... La aussi, heureusement, le secteur évolue vite et les initiatives se multiplient. « Il est plus facile de changer une ligne de code que les mentalités », ironise-t-elle. A titre d’exemple, aujourd’hui, 90% des contenus publiés sur Wikipedia sont contribués par des hommes, et on ne trouve sur l’encyclopédie collaborative que 18% de biographies de femmes en ligne : un projet d’IA devrait prochainement remédier à cela en participant à la contribution de biographies féminines. De même, l’IA peut servir à la sensibilisation et à la prise de conscience : « si quelqu’un ne peut pas comprendre la nature des combats féministes, il est difficile de ne pas accepter des chiffres objectifs ! » ajoute Flora Vincent. Par exemple, avec une intelligence artificielle simple, il est facile de calculer la répartition femmes/hommes du temps de parole en réunion. A bon entendeur…
Les changements de mentalité commencent à l'école : « le digital permet de démocratiser l’accès à l’information mais aussi plus d’individualisation et d’autonomie dans l’accès à la formation », indique Sophie Viger de l’école 42. « C’est le cheval de Troie d’une nouvelle pédagogie qui doit favoriser l’intelligence collective ». Si les jeunes filles se mettent encore à coder plus tard, les écoles de la tech ont un vrai rôle à jouer. Et Sophie Viger s’y attache particulièrement à la fois pour encourager l’accès des femmes à la formation : « depuis la suppression de la barrière d’âge à l’entrée à l’école 42, le nombre de femmes de 30 à 40 ans a explosé ! », mais également au quotidien, pour lutter contre toutes les discriminations et protéger les droits (femme, LGBT, …). Parmi les actions concrètes, un groupe de travail sur la mixité, ainsi que des référents que des personnes victimes de sexisme peuvent solliciter, ou encore un partenariat avec Social Builder pour encourager la place des femmes dans les métiers du numérique... « Le code appartient à toute l’humanité ! », conclut-elle.
Et quid de l'entreprenariat des femmes et du digital ?
La deuxième table ronde de la soirée portait sur la thématique de l’entreprenariat dans le milieu numérique, et réunissait, Anne Lalou, directrice de la Web School Factory, Denis Jacquet, multi-entrepreneur, président de l’association Parrainer la croissance et fondateur de l’Observatoire de l’Uberisation, Mereto Buljo, CDO chez Natixis et présidente de l’association Digital Ladies & Allies, et Alexia Cordier co-fondatrice de la start-up Fifty. Outils ou moyen au service des femmes entrepreneuses ou véritable accélérateur pour leur projet d’entreprenariat (lancer un commerce en ligne aujourd’hui est accessible à toutes, rappelle Alexia Cordier), on en revient au fait que les technologies sont aujourd’hui majoritairement conçus par des hommes introduisant un biais dans leur usage (et même les dispositifs de sécurité automobile, indique Merete Buljo). C’est donc dès leur design et leur vision que les outils -digitaux ou non- doivent prendre en compte tous les sexes selon Denis Jacquet. Et Merete Buljo d’ajouter : « pour que le digital serve tout le monde, il faut que tout le monde participe à la techno ». Un credo pour l’association Digital Ladies & Allies qui a remis le 6 mars dernier à Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat chargé du numérique, un livre blanc de 150 actions concrètes pour valoriser la place des femmes dans la tech, et qui propose un « Do tank » pour mettre en avant les bonnes pratiques et les femmes entrepreneurs. Parmi ses actions, celle qui a été suggéré par Emmanuel Leneuf, une femme en vue, également fondatrice du fameux Flash Tweet, et qui consiste en un petit geste : avec le hashtag #FFwomenintech, tout le monde peut tweeter le vendredi pour mettre en valeur une femme qui œuvre dans la tech !
Car il y a encore à faire… Anne Lalou, qui vient de rejoindre le collectif Sista, rappelle que seuls 3% des fonds d’investissement vont à des projets portés par des femmes : si leur business plan sont plus réalistes, ils font moins rêvé les investisseurs ... Il y a à faire sur l’« empowerment » des femmes pour faire bouger les lignes, et Denis Jacquet promeut même la logique des quotas, quand il s’agit de défendre la mixité et l’égalité professionnelle. Des quotas qui pourraient être intégrés dans les algorithmes IA pour favoriser des recrutements de femme par exemple…
La soirée a également été l’occasion de regarder les stéréotypes féminins sous l’angle de l’humour avec les interventions remarquées de Michèle Come, lauréate des femmes en vue 2016, juriste de formation, et qui, après un parcours dans de grands groupes internationaux, s’est lancé dans le théâtre d’entreprise : ainsi, de son passage dans l’IT elle retient les tâches relatives aux croissants, les remarques sur ses enfants ou encore sur son niveau informatique… Stéréotypes ou biais cognitifs ? Michèle Come note toutefois que les femmes ont tout d’une IA : capacité prédictive ("attention tu vas te brûler…"), tâches (ménagères) répétitives, etc. Alors de la à coder, il n’y a qu’un pas 😉
Des femmes en vue...
Six femmes en vue lauréate 2018 sont venues pitcher sur leurs expertises et leurs projets. L’occasion de découvrir des personnalités engagées avec des projets pertinents, ancrés dans l’actualité de ce nouveau siècle.
Ainsi, Ange Ansour a présenté les Savanturiers, un projet communautaire autour de l’éducation, qui mobilise et fédère les communautés éducatives et scientifiques pour innover collectivement au service de l’École. Un projet qui met la pédagogie et le collaboratif au cœur de l’enseignement du 21e siècle.
Ensuite, Cécile Monteil, médecin à l’Hopital Robert Debré et passionnée de technologie, est venue questionner l’assistance sur les impacts de l’IA sur le monde de la santé. Un algorythme pourra demain détecter plus rapidement un cancer, mais saura-t-il pour autant mimer l’empathie nécessaire pour l’annoncer et accompagner le patient ? Le métier de médecin est en train de changer, et Cécile nous inviter à penser l'équation machine + homme (ou femme 😉).
A l’heure où de plus en plus de foyers se détournent de la grande distribution, le marché de l’industrie alimentaire voit émerger de plus en plus de circuit court. C’est Laure LeJossec, fondatrice de Peligourmet, un circuit court pour faire ses courses en direct de ferme familiale, qui en parle, indiquant que même Amazon veut se lancer sur le sujet.
Célia Rennesson, fondatrice de Réseau Vrac, prend la suite et, avec un réseau en France de près de 250 points de vente, elle prône la consommation en vrac pour lutter contre la pollution plastique -le fameux 7e continent- parce qu’en matière d’environnement et de consommation, chaque petit geste compte...
Toujours dans le domaine du développement durable, Aurore Fabre Landry nous parle de son projet sur la mobilité durable : les modes alternatifs de transports sont à notre portée, moins polluants, moins chers, et plus lents : une qualité dans un monde qui va toujours plus vite !
Enfin, sociologue, Aurélie Peyrin travaille sur la déconstruction des stéréotypes autour de la fonction publique et dépassionner le débat public autour de l’emploi
La soirée était aussi l’occasion de lancer la nouvelle édition du concours Femmes en vue, lancé par Vox Femina en partenariat avec TF1 Initiatives. Pour candidater, les femmes qui le souhaitent sont invitées à envoyer une vidéo selfie de 90 secondes exposant leurs compétences et les raisons pour lesquelles les médias devraient les interviewer. Un jury composé de journalistes et de partenaires de l’association Vox Femina choisira les 24 meilleures. Et les lauréates de cette nouvelle édition gagneront une séance de media training dans les studios de TF1 et pourront repartir avec une vidéo professionnelle qui servira leur image digitale. De quoi soigner son double numérique et son personal branding. Alors vous attendez quoi pour postuler ?
J’en profite pour publier ici ma sketchnote du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, sur les iniatives en faveur des femmes dans la tech... Prochainement, le webzine Entrepreneuze devrait publier un de mes articles sur le sujet des femmes et du digital dans ses colonnes. Stay tune !
par Gaëlle Roudaut