Le 8 octobre dernier, le cabinet Hyphae organisait une table-ronde en ligne, en direct avec 8 espaces de coworking, sur la thématique des mutations du monde de travail. En introduction, Marielle Barbe, slasheuse et auteure de « Profession slasheur : cumuler les jobs, un métier d’avenir » intervenait avec une conférence sur le futur du travail. En tant que slasheuse moi-même, oscillant entre mes activités de conseil, de facilitation graphique, de formation, de rédaction, … j'ai été particulièrement attentive à cette intervention dont j’ai choisi de publier quelques keynotes ici.
Pour commencer Marielle Barbe nous a rappelé le contexte complexe du monde du travail : entre les crise en série, qu’elles soient sanitaires, économiques, sociales, environnementales, le chômage de masse, les ruptures de carrière, émergent aussi de nouvelles envies chez les travailleurs, en quête de plus de liberté, de sens, d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, des nouveaux « besoins » qui s’expliquent par la digitalisation du travail, rendant possible, le travail à distance, nomade, le télétravail ou encore le coworking. « Le digital s’est invité dans nos vies, indique Marielle Barbe, il a fait évoluer de façon fulgurante notre travail et notre relation au travail ! C’est une révolution plus importante encore que ne l’ont été l’imprimerie ou la révolution industrielle ». Elle ajoute que la crise sanitaire de la Covid-19 a eu un effet « loupe », accélérateur, obligeant les entreprises à relever certains défis, comme le déploiement du télétravail dont l’expérience commune a permis de montrer qu’il était possible, malgré les réticences de certaines cultures d’entreprise attachées à la présence sur site. La crise a également remis au goût du jour l’importance de l’agilité, dans un monde plus que jamais volatile et incertain. Elle a questionné le sens du travail par rapport aux besoins de la société. « Avant la crise, 9 français sur 10 pensaient déjà à une reconversion, indique Marielle Barbe. Depuis, ils ne sont plus seulement en train d’y penser, de plus en nombreux, ils passent à l’acte. » Les entreprises elles-mêmes ont été questionnées sur leur utilité depuis le début de cette crise : « il n’est plus question de traiter les sujets indépendamment, la crise nous a montré à quels points les enjeux humains/économiques/sociaux/écologiques sont corrélés ! »
Un autre enjeu à prendre en compte quand on parle des mutations du travail, selon Marielle Barbe, ce sont les évolutions démographiques et l’arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle génération, qui mène selon elle, une « révolution silencieuse ». Une génération qui ne croit plus à la sécurité de l’emploi, ni à une belle retraite méritée à la fin de sa carrière, et dont les principales préoccupations relèvent de la liberté de mener une vie professionnelle plus organique et moins linéaire, du besoin de s’épanouir plus que de réussir, comme de l’équilibre avec la vie personnelle qui ne doit plus être sacrifiée sur l’autel du travail. « Le développement de leurs compétences fait aussi parti de leurs principales motivations à choisir un poste », ajoute Marielle Barbe, rappelant que ceux qu’on appelle les « Millenials » représenteront 75% de la population active dans le monde d’ici 2025. Et ces aspirations ne sont pas réservées aux seules nouvelles générations, si l'on en croit une étude OpinionWay et EuroQuartz, selon laquelle les 40 ans et plus sont à un point près des Millenials à considérer comme important le fait de réaliser quelque chose qui a du sens.
" Tous les hommes ont besoin d’apprendre" - Aristote
Et nul besoin de rappeler ces études qui ont fait le buzz, selon lesquelles 85% des emplois de 2030 n’existeraient pas aujourd’hui, ou encore 50% des compétences actuelles seraient obsolètes d’ici 2 ans… En fait, selon Marielle Barbe, au-delà des crises qui peuvent constituer des déclencheurs, ce sont les mentalités et les consciences qui évoluent plus globalement vers un désir individuel d’évolution. Elle constate que si le digital a boosté nos vies personnelles mettant à notre disposition des outils d’informations et d’apprentissage nombreux, des MOOC, des vidéos en ligne sur tous les sujets, à peine 10% des organisations prennent en compte la richesse personnelle des individus qu’elles emploient. Et ce décalage se creuse entre les possibilités offertes d’un point de vue personnel de se former et de s’enrichir, par rapport à l’offre de formation des entreprises : « c’est un gouffre dans lequel démotivation, désengagement, voire risques psychosociaux, s’engouffrent, interpelle Marielle Barbe. 91% des salariés français se disent désengagés au travail selon une étude de Gallup… Et pour cause, si l’entreprise sait accompagner les compétences, quid des appétences ? » questionne-t-elle.
Continuer à apprendre, à se former, à évoluer est un désir naturel, sur lequel une équipe de chercheurs, sous la houlette de François Xavier de Vauljany, ont réfléchi, faisant émerger un modèle pour le futur du travail. Un modèle avec 4 bulles que commente Marielle Barbe : « la première, celle du salariat va continuer à perdurer offrant une format de sécurité contractualisé à certains travailleurs qui feront ce choix, elle va co-exister avec la bulle du freelancing qui prend de plus en plus de poids aujourd’hui quand on sait que le nombre de freelance a fait un bond de 145% en 10 ans et que 90% le sont par choix, mais également avec une bulle de travailleurs au revenu universel comme les premières expériences testées à petites et moyennes échelles nous en montrent les bénéfices, et enfin une bulle hybride mêlant nouvelles technologies -IA et big data- et travailleurs slashers ou appartenant à des communautés… » Le trait d’union de ces bulles, c’est la liberté : qu’elle s’exprime au travers du travail à distance, du nomadisme, du slashing, de contrats et de statuts protéiformes ou hybrides… « Les moins de 30 ans exerceront selon l’OCDE au moins 13 métiers pendant leur carrière professionnelle, rappelle Marielle Barbe. Ce sont autant de transition à gérer ! » Elle nous invite, avec le sociologue Michaël Dandrieux, à prendre conscience de nos « multipotentialités » et de notre capacité à nous renouveler beaucoup plus importantes demain que ne le seront nos expertises, sans doute prochainement obsolètes.
Demain, tous slashers ?
En tous cas, le phénomène du slashing concernerait déjà 16% des actifs selon une étude du salon SME en 2015. Et les slashers développent selon Marielle Barbe, des qualités qui répondent aux nouveaux besoins de la société, et que la scolarité n’a pas forcément encouragées : curiosité, vision globale, créativité, travail en réseau, capacité d’adaptation, capacité à se régénérer et à apprendre … Des profils atypiques qui ont parfois eu du mal à trouver une place dans l’entreprise traditionnelle. « Pourtant, il y a de nombreux bénéfices à slasher tout en restant salarié, témoigne Marielle Barbe, pour le salarié, c’est plus d’épanouissement procuré par la multi-activité, de reconnaissance et de prise en compte de ses appétences, de possibilité de mobilité par la suite, mais aussi moins d’ennui, de démotivation liés à la routine ou au sentiment d’inutilité sociale. Et pour l’entreprise, sortir du canevas trop serré des fiches de poste pour ouvrir la malle au trésor que représentent les collaborateurs en leur permettant d’élargir leur spectre de contribution, est un vrai levier à la fois d’attractivité mais aussi de fidélisation, de motivation et d’engagement. Sans compter la créativité et les opportunités qui peuvent se révéler au travers des activités externes avec lesquelles les salariés slasheurs peuvent faire des ponts » Certaines entreprises comme Decathlon, Airbus ou encore la startup Alan l’ont bien compris et font partie de ces entreprises qu’elle nomme « slashingfriendly ».
Dans le contexte toujours plus incertain et volatile dans lequel nos organisations vont devoir évoluer, capitaliser sur des salariés ou des partenaires, freelance, slashers, capables de nous apporter de nouvelles lunettes, de nouvelles grilles de lecture pour explorer de nouveaux chemins, remettre en question nos croyances et trouver rapidement des solutions à nos problèmes, peut constituer un pari gagnant-gagnant ! Pour Marielle Barbe « ce modèle d’hybridation sera vertueux pour l’entreprise comme pour les hommes et les femmes qui la composent : un modèle qui permettra à chaque individu de développer son potentiel, de continuer à grandir, à faire briller chaque facette de sa personnalité et de contribuer au monde en étant à sa juste place » … et en tant que slasheuse moi-même, j’ai forcément envie de la croire 😉 !!!
par Gaëlle Roudaut