Vendredi 6 mars et tout le week-end se tenait La Tech pour toutes, un événement co-organisé par l’Ecole 42 et l’association Digital Ladies & Allies. Trois jours ouverts à toutes et tous de 7 à 77 ans pour s’initier au code en ateliers, écouter des conférences inspirantes sur le monde de la tech et donner envie aux plus jeunes de s’orienter vers les métiers du numérique. L'enjeu : construire le monde de demain avec des technologies plus inclusives et moins "androcentrées".
Personnellement engagée sur cette thématique avec SocialBuilder, je suis allée passer quelques heures vendredi après-midi à l'école 42, afin de pouvoir vous partager quelques keynotes.
"Nous agissons pour élaborer un monde tech plus juste. En plus des actions menées à 42, nous organisons des événements majeurs comme aujourd’hui pour convaincre les femmes de l’urgence à prendre leur place dans la Tech", lance Sophie Viger, directrice de 42, en ouverture de l’événement. "La tech, ce sont des métiers du pouvoir qui sont en train de dessiner un monde nouveau. Les femmes y sont hélas mécaniquement écartées parce qu’elles ne participent pas à son élaboration…" poursuit-elle. "Se priver des femmes c’est se priver de 50% des talents potentiels ! ", enchérit Geoffroy Boulard, maire du 17e arrondissement, également présent à la conférence d’ouverture de La Tech pour toutes.
L’année dernière, l’association des Digital Ladies & Allies avait remis un livre blanc à Mounir Mahjoubi alors secrétaire d’état chargé du numérique. Ce livre réalisé avec la contribution de nombreux et nombreuses membres de l’association, propose des pistes concrètes basées sur l’éducation, la formation ou encore la mise en visibilité des femmes afin de promouvoir leur place dans la tech. D’autres initiatives comme le récent Parental Act qui propose la prise en charge à 100% d’un congé d’un mois du 2e parent lors de la naissance d’un enfant, ou encore WeareSista qui vise à réduire les inégalités de financement entre entrepreneurs et entrepreneuses, encouragent l’égalité professionnelle entre homme et femme et peuvent permettent aux jeunes filles de se projeter dans l’entreprenariat ou encore dans une carrière professionnelle dans la tech. Et l’enjeu est de taille : c'est une question de modèle de société de faire en sorte que les algorithmes codés demain prennent en compte la vision des femmes. En effet, pour Merete Buljo, présidente des Digital Ladies & Allies, "la Tech, c'est un outil pour le monde d'aujourd'hui et de demain. Monde qui a besoin de diversité. On ne peut pas innover entre clones ! ". Cédric O, actuel Secrétaire d’Etat au numérique ajoute : "Le sujet de l'égalité dans la Tech est évident : il n’est pas question de laisser les femmes de côté. L'intérêt est existentiel pour la French Tech également : c’est la diversité qui permet aux écosystèmes de réussir. »
Mais encourager la place des femmes dans la tech demande constance et persévérance pour faire bouger les lignes.
Et maintenant, on agit...
Salwa Toko, fondatrice du programme BecomeTech et actuelle Présidente du Conseil national du numérique, rappelle que les hommes ont commencé à investir plus massivement le secteur des technologies à partir des années 80 au moment de la démocratisation de l’ordinateur personnel dont l’entrée dans les foyers est souvent passée par les petits garçons pour ses jeux vidéo. Le modèle alors mixte de la tech s’est masculinisé, tandis qu’à l’école, les jeunes filles étaient moins incitées à aller vers les sciences dures. Selon Daniella Tchana, fondatrice de la plateforme BeSmart-Edu, les jeunes filles se dénigrent face aux garçons de leur âge, alors que « pour coder ce n’est pas la peine d’être un génie des maths ! », assène-t-elle. C’est son combat de rassurer les adolescentes et de valoriser toutes les spécialités de la tech. Car en réalité, le problème commence dès le plus jeune âge : « il faut lutter contre nos propres biais en tant que femmes », insiste Céline Bouillon du service Design d’Engie Digital. C’est ainsi que BecomeTech, le programme lancé par Salwa Toko, propose de détricoter tous les stéréotypes avec un langage neutre et des mises en pratique dès le plus jeune âge : « l’idée c’est de sortir des postures et des rôles dans lesquels on est tous enfermés », précise-t-elle. Il permet de montrer aux jeunes filles que le code peut avoir un impact positif sur leur vie quotidienne en devenant par exemple la référence tech de la maison. Chez IT4girls, Yaël Dehaese propose des ateliers pour apprendre à coder des applis pour sauver la planète : les femmes ne ne sentent pas légitimes pour aller vers les métiers de la tech mais ont envie de s’engager dans des projets qui ont du sens, indique Sharon Sofer, Présidente de Startup For Kids. « C’est aussi l’occasion de remettre la technologie à sa place, ajoute Sharon Sofer, au service d’un impact positif pour notre société et notre environnement ».
Daniella Tchana propose des marraines comme role-model pour montrer aux jeunes apprenantes de son établissement qu’on peut réussir dans les milieux soi-disant masculins, en ayant notre place !
Salwa Toko explique qu’une commission Genre & numérique vient d’être créée pour étudier la question des femmes dans la tech, cartographier et mesurer les impacts des actions menées : « il faut lutter contre l’invisibilité des femmes dans la tech », ajoute-t-elle. De nombreuses actions sont déjà impulsées par le tissu associatif, les entreprises,... L’objectif de la commission sera d’étudier la façon dont elles sont menées, afin que la puissance publique puisse porter ces actions à une plus grande échelle et ainsi encourager plus largement la parité et la mixité dans le milieu du numérique : « Il est temps de porter un autre regard sur ce milieu et se demander quel type de société on veut construire demain ? Il y a un vrai risque de précarisation des femmes dans le monde de demain qui sera façonné par la tech » Elle propose même de proposer un « label » du design mixte : « c’est l’enjeu du futur du web ! », scande-t-elle. « le design, c’est aussi s’appuyer sur les usages et la sociologie de TOUS les utilisateurs », complète Céline Bouillon.
En entreprise, on voit que les équipes IT sont plus performantes quand elles sont plus diversifiées, ajoute Yaël Dehaese. Mais le défi de réussir à faire que l’univers de la tech soit inclusif et bienveillant est de taille : 50% des femmes du numérique quittent le milieu de la tech au bout de 10 ans de carrière, selon Sharon Sofer. Remarques sexistes, discriminations,... le quotidien dans un monde très masculin n’est pas toujours rose. L’urgence est donc de faire évoluer le milieu de la tech pour recruter davantage mais aussi pour garder les talents féminins. Et cela peut commencer en faisant respecter les règles de l’accessibilité numérique, indique Céline Bouillon d’Engie digital, pour faire en sorte que tout le monde accède à la technologie de façon équitable. Or, seulement 4% des sites publics sont aujourd’hui accessibles, pointe-t-elle. Et l’apprentissage du code, notamment par le biais du petit programme Scratch, inscrit au brevet des collèges, n’est pas encore enseigné partout, ajoute Yaël Dehaese... Le chemin vers la parité et la mixité va être long, mais c’est celui de l’égalité des chances selon Daniella Tchana.
Et les intervenantes d’ajouter : ce n’est pas parce qu’on a choisi une voie dans la tech à 18 ans qu’on est obligée d’y rester toute sa vie ... Webdesign, data science, développement et intégration, cybersécurité, … les métiers du numérique sont variés et de nombreuses évolutions sont possibles.
En fait, nous avons tous le pouvoir d’agir au quotidien pour faire bouger les lignes : parler de la place des femmes dans la tech à sa famille et ses amis, demander à toutes les filles si elles savent comment marchent les applis qu’elles utilisent sur leur smartphone, parler de l’accessibilité numérique autour de soi... Comme nous y invite Cédric O, Secrétaire d’Etat en charge du numérique : « Investisseurs, entrepreneurs, professeurs, acteurs publics : continuons à tous nous mobiliser pour que le numérique devienne une chance pour toutes ! ».
Le but n’est pas de rendre la tech rose, même si Sharon Sofer souligne avec humour qu'elle est prête à utiliser des licornes pour attirer les petites filles dans les ateliers de Startup For Kids. Il s’agit davantage de prendre conscience, comme Salwa Toko le défend, que la tech c’est le pouvoir et qu’il est temps que les femmes s’en emparent !
A bonne entendeuse 😉 !
par Gaëlle Roudaut