La semaine dernière, les 5 et 6 février 2020, au parc des expositions de la Porte de Versailles à Paris, se tenait le salon LearningTech, événement dédié aux professionnels de la formation et aux technologies de l’apprentissage. Présentation de solutions innovantes, technologies émergentes au service de l’apprentissage, retours d’expérience d’entreprises, études de cas, … Quand on sait que 80% d’une formation est oubliée dans les 7 jours, et que 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore, le défi est de taille, pour les entreprises en charge de la formation, voire de l’« upskilling » et de l’employabilité de leurs collaborateurs. Que fallait-il retenir du salon ? Quelques tendances glanées dans les allées et conférences, et bien sûr les sketchnotes que j’ai réalisées ce jour là.
A l’occasion du salon Learning Tech, l’organisme de formation ISTF présentait son livre blanc des tendances en matière de digital learning. Ainsi, si 30% des répondants à l’étude ISTF affirment vouloir passer au digital pour améliorer l’efficacité pédagogique des formations, la réactivité face aux enjeux business est la deuxième motivation de la digitalisation, suivi par la réduction des coûts. Mais le manque de temps, de compétence, de budget, d’adhésion de la hiérarchie continue à freiner la digitalisation, bien plus que le manque d’efficacité perçu des outils et du digital learning en général. L’étude constate que le blended-learning prend de plus en plus de place dans les dispositifs de formation, mais qu'il s'agit d'un pur transfert des dispositifs présentiels vers les dispositifs blended.
Prendre en compte la "learning culture"
Fini les dispositifs de formation hors-sol, appliqués à toutes les entreprises et à tous les secteurs d’activité sans adaptation. De nombreux intervenants insistent sur l’importance de prendre en compte l’environnement de formation afin d’intégrer le dispositif dans un « sol fertile » au développement de l’apprentissage. C’est le concept de la « Learning culture », développé aux US par Peter M. Senge, professeur et auteur, du MIT Sloan School of Management, dans son ouvrage « The fifth discipline ». En effet, face à l’obsolescence des compétences et l’enjeu du « re-skilling », les entreprises ont intérêt à devenir des organisations apprenantes. Pour ce faire, le spécialiste de l'évaluation de formation, Formetris, s’est inspiré de l’ouvrage du chercheur et a développé un modèle, destiné à la fois à mesurer mais aussi à booster cette culture de l’apprenance : Le "learning culture index". Il questionne à la fois les ressources et opportunités de développement proposées par l’organisation à ces collaborateurs : la mobilité est-elle encouragée ? comment se déploie-t-elle ? Il interroge également l’engagement des managers dans l’apprentissage de leurs collaborateurs : jouent-ils un rôle de modèle en matière de formation, valorisent-ils les enseignements et la mise en œuvre des apprentissages de leurs collaborateurs ? Le modèle de learning culture index de Formetris questionne également la culture du partage en place dans l’entreprise : est-ce que le feed-back est une pratique habituelle ? l’entreprise a-t-elle mis en place des rituels de partage ou des occasions d’apprendre entre pairs, au contact des autres ? Enfin, le modèle regarde du côté de l’agilité d’apprentissage, à savoir la capacité qu’offre l’organisation d’apprendre à tout moment, y compris de ses erreurs. La culture organisationnelle est ainsi diagnostiquée sous l’angle de ses pratiques, mais aussi de ses process et de ses valeurs. Le diagnostic prend enfin en compte 4 critères clés dans la learning culture : la confiance et le respect, la vision partagée, l’ouverture aux idées innovantes et l’expérimentation et enfin l’amélioration continue. Avec ce type de diagnostic, il est ensuite plus aisé d’implémenter des dispositifs de formations adaptés qui auront donc plus d’impact. Un suivi est également important pour en mesurer les effets et l’évolution dans le temps de la Learning culture.
Engager l’apprenant, la nouvelle promesse des tech…
6% seulement des apprenants sont en maitrise des contenus d’une formation, pour une moyenne de 1000 euros dépensés… Un vrai gâchis selon Fabrice Cohen de la start-up Woonoz. Il dénonce la course aux gadgets en formation : gamification à outrance, digitalisation irraisonnée … Les sursollicitations de la technologie (notifications, réseaux sociaux, …) ont tendance à ébranler notre capacité d’attention et notre engagement dans l’apprentissage devient inversement proportionnel à la gadgétisation des supports de formation ! Et quand on y ajoute nos bons vieux réflexes culturels du type « nous avons mieux à faire qu’à jouer… et d’autant plus qu’à jouer en formation », la conséquence directe, c’est la baisse de l’investissement global de chacun dans les formations… Pour y faire face, Woonoz propose de mettre en œuvre les théories de la motivation : en l’occurrence, capitaliser sur la motivation intrinsèque (pas besoin de carotte je sais pourquoi je me forme) qui est plus durable, sur la perception de chacun de ce qu’il gagne à se former et sur la théorie du renforcement : si ça vaut le coup pour moi, et qu’en plus la formation est efficace, alors je n’ai pas de raison de ne pas me former ! Autrement dit, priorité à l’efficacité !! Du point de vue du retour sur investissement, Woonoz insiste sur 3 indicateurs : à la fois, celle du temps passé en formation, celle du niveau de départ de l’apprenant et celle du niveau de performance attendue à l’issue de la formation : en prenant en compte ces 3 facteurs, on adapte son dispositif de formation, une autre façon de ne pas prendre un canon pour écraser une mouche, si vous me permettez l’expression.
Mettre immersion et émotions au service de l’apprentissage
Car concevoir un dispositif de formation suppose de savoir pour qui on le créé, à qui on s’adresse. C’est donc bien de connaître les besoins métiers et le niveau d’où l’on part (et la learning culture …). C’est aussi savoir quel est l’objectif recherché, quel est le niveau à atteindre. Mais aujourd’hui ces prérequis ne suffisent plus. Dans un monde où nous sommes sur-sollicités de toutes parts, engager les apprenants dans une séquence de formation est devenu une véritable gageure. L’agence ThinkOvery rappelle les 5 ingrédients clé pour rendre les collaborateurs acteurs de leur propre formation. Tout d’abord, miser sur l’attention et garder à l’esprit que celle-ci ne peut être continue plus de 10 minutes, ensuite jouer sur les émotions qu’elles soient positives et négatives pourra renforcer l’apprentissage. Autre ingrédient, les images mentales, les métaphores, le visuel vont aider la mémorisation des apprenants. Enfin, séquencer le contenu, en s’inspirant notamment de la fiction, scénariser sa formation avec les grands principes du récit et du storytelling vont contribuer à l’engagement et à une meilleure rétention de l’information chez l’apprenant.
Convaincue par ces principes, et notamment que l’expérience vécue et l’émotion ressentie sont des boosters d’apprentissage, la start-up PitchBoy développe des modules de formation basée sur la réalité virtuelle, la reconnaissance vocale et des algorithmes d’intelligence artificielle qui permettent de reconstituer un environnement réel, grâce à la vidéo 360 degrés, complètement immersif pour l’apprenant. Co-construit avec les métiers de l’entreprise, ces environnements sont très réalistes pour l’utilisateur. Ainsi, en interagissant directement avec la machine dans le cadre de micro-sessions, l’apprenant peut s’entrainer, rater, recommencer, … La solution lui permet d’avoir accès à ses évaluations qui lui sont expliquées pour lui permettre de mieux connaître ses marges de progrès, et de se développer. Pour le manager, la solution permet également d’avoir accès à la performance globale de chaque collaborateur et sa progression, afin d’être plus présent dans l’accompagnement. La direction de la formation peut également piloter le dispositif grâce aux différents métrics disponibles.
Unifier les accès à la formation et individualiser les parcours
Mais avec la digitalisation progressive des formations, les organisations se retrouvent parfois face à une diversité d’outils : VR, vidéo-learning, micro-learning, serious game, … Un éco-système de solutions, de plateformes, de contenus auxquels les apprenants doivent se connecter pour accéder aux différents types de formations proposés. Le défi de la digitalisation de la formation est désormais celui de l’intégration afin d’éviter la dispersion des utilisateurs comme des directions de la formation qui pilotent les dispositifs dans une multitude de solutions. Ainsi, la start-up E-tipi propose une logique de point d’entrée unique, une vision unifiée, dans lequel convergent le catalogue, les communautés d’apprenants où le savoir se partage et se crée au travers des échanges, les modules de formation qui peuvent y être créés directement ou intégrés à partir de contenus transverses. En effet, selon l’étude ISTF, si la production de contenus digitaux reste internalisée pour 54%, elle a tendance à reculer par rapport à l’achat de contenus sur catalogue qui progresse le plus en 2019. Ceci dit, 75% des répondants envisagent d’augmenter leur production en interne et en particulier, pour 25%, en s’appuyant sur les collaborateurs eux-mêmes via le « User Generated Content », pour l’année à venir.
La logique de granularisation du savoir en la plus petite unité de connaissance utilisable, permet également une mutualisation des contenus générés ou achetés, entre parcours, un meilleur référencement sur la plateforme, et une mise à disposition de tous dans une logique d’individualisation de la formation : l’apprenant peut ainsi composer son propre parcours de formation à partir des contenus disponibles, créés sur la plateforme, intégrés ou générés par des experts dans les communautés. L’usage des données d’apprentissage (durée de connexion, complétude, etc.) et d’une IA permet ensuite de proposer des parcours adaptés (adaptative learning) aux différents apprenants. Un cas d’usage qui illustre la fameuse « netflixisation » de la formation.
Apprendre passe aussi par le contact…
Dans son baromètre ISTF met en avant le rôle du tutorat, c’est-à-dire le suivi de l'apprenant par le formateur, dans l’efficacité d’un dispositif de formation digitale : ainsi, 54% des dispositifs non tutorés ont un taux de participation inférieur à 10%, tandis que 59% des dispositifs tutorés ont un taux de participation supérieur à 60%. Par ailleurs, le présentiel suivi de la classe virtuelle restent les modalités les plus plébiscitées. Deux indicateurs qui montrent l’importance du contact humain dans la formation.
Autre acteur dont le rôle est clé dans l’apprentissage d’un salarié : c’est son manager. Le collaborateur n’est plus seul face à un dispositif de formation digital ou présentiel. Elément clé du learning culture index de Formetris, le manager est aussi un pilier dans l’approche de CrossKnowledge. En effet, pour l’éditeur, même s’il est attendu des managers qu’ils jouent un rôle de développeur des compétences de leurs collaborateurs, en identifiant les besoins de formation, en accompagnant et en valorisant leurs montées en compétences, ce n’est une réalité que pour 20% d’entre eux. Et pourtant, les études montrent qu’avec la prescription de leur manager, les collaborateurs s’investissent plus facilement dans la formation. C’est pourquoi CrossKnowledge a développé la solution CK Connect qui permet aux managers de recommander des formations à son équipe, selon le niveau et le profil de chacun, et donc d’engager la conversation sur le sujet de la formation. A la clé, plus d’efficacité perçue et de satisfaction des apprenants sur les formations reçues.
Enfin, de plus en plus d’entreprises testent le co-développement, cette approche qui facilite la résolution de problèmes en petits groupes de pairs, tantôt client (amenant leurs problématiques à résoudre) et tantôt consultant (apportant un éclairage différent pour permettre l’émergence de solutions). A travers un déroulement type dont l’animateur du groupe est le garant, les collaborateurs en co-développement peuvent prendre du recul sur les difficultés rencontrées et apprendrent de l’expérience partagée par leurs pairs. Un dispositif que la société SBT Human Matter propose de prolonger dans le temps et l’espace à travers sa plateforme We Success, qui permet aux groupes de co-développement de poursuivre leurs échanges online.
Evaluer les formations n’est plus un luxe …
Mais qu’en est-il de l’efficacité de tous ces dispositifs ? Si l’entreprise investit dans la formation de ses collaborateurs, c’est avant tout parce qu’elle recherche des gains de productivité, la formation peut rendre plus compétitif, peut faire la différence sur le marché… mais mesure-t-elle réellement si les gains attendus ont réellement été obtenus ? Evaluer l’efficacité d’un dispositif de formation signifie de passer du temps derrière des fichiers excels à éplucher les retours des apprenants qui sont parfois peu nombreux et sans réellement pouvoir se comparer à d’autres dispositifs de formation pour mesurer réellement l’impact de son action … Aussi de plus en plus de plateformes LMS, comme Docebo, qui intègre directement la solution d’évaluation Formetris, propose d’automatiser l’évaluation, tout en relançant les apprenants et en permettant à l’équipe en charge de la formation de confronter ses résultats à ceux d’autres entreprises sur des dispositifs de formation similaires. Formetris rappelle les étapes indispensables pour faire de l’évaluation de la formation un levier de formation au service de l’efficacité : tout d’abord, définir un objectif clair à son action de formation permet ensuite de pouvoir mesurer son atteinte, ensuite mettre en place des processus d’évaluation pragmatiques et simples à mettre en œuvre qui laissent de la place au qualitatif et pas seulement aux chiffres, encourager les apprenants à mettre en place leur propre plan d’action à l’issue de l’action de formation, être attentif aux taux de réponses des questionnaires d’évaluation, tirer des enseignements et améliorer son dispositif et enfin, bien sûr, être transparent et communiquer sur les résultats. Vous ne pourrez plus dire que vous n'étiez pas prévenu !
Développer ses "people skills" et devenir des "serial learner"
Si les 4 C (créativité, communication, coopération et esprit critique) ont souvent été citées lors du salon comme les « people skills » de demain, il est difficile de savoir quelles seront les compétences techniques attendues dans 10 ans : sans doute qu’une certaine agilité avec les outils digitaux et l’univers du numérique en général sera incontournable, mais que dire des autres ? Les compétences de demain sont encore pour beaucoup inconnues aujourd’hui. Voilà qui devrait nous engager à devenir des « serial learners » comme nous y invite Michel Barabel, maître de conférence en RH et auteur, intervenant au Learning Tech.
Etre acteur de nos formations, apprendre tout au long de la vie professionnelle, échanger avec nos pairs (le fait de le transmettre renforce notre apprentissage)... personnellement, je trouve cette perspective vraiment réjouissante ! Et vous, êtes-vous des serial learners ?
par Gaëlle Roudaut