Avant de reprendre la route de l’IGS-RH où j’ai la chance d’enseigner à mes heures, je me suis replongée dans quelques lectures et en particulier dans les ouvrages parus récemment sur le thème de la transformation de l’entreprise. Un petit livre bleu au titre un tantinet provocant a attiré mon attention : « Like ton job : comment vivre avec bonheur la transformation digitale », publié en 2018 chez Dunod par Olivier Bas, vice-président d’Havas Paris et enseignant à la Sorbonne Nouvelle. L’objet de ce livre : nous faire comprendre que la révolution digitale est moins un sujet de nouvelle technologie qu’un grand bouleversement qui affecte profondément nos façons de penser le travail, et donc d’y agir et d’y trouver le sens que nous recherchons. A travers cet ouvrage, Olivier Bas, nous invite à réinventer notre rapport au travail : investissons moins dans la technicité de notre activité que dans son utilité, moins dans la maîtrise de ce que nous savons que dans l’acquisition de nouvelles compétences, moins dans notre statut que dans les communautés professionnelles dans lesquelles nous collaborons… Un concentré d’optimisme à consommer sans modération !
Du changement incessant au mouvement
Si la révolution numérique simplifie nos vies quotidiennes et fait de nous des consommateurs totalement acquis à sa cause, à coup de plateformes, de recommandations étoilées, de services personnalisés, de disponibilité 24H/24, de réseaux sociaux, … elle a autant d’impacts sur notre économie, notre société, notre culture… Le client a le pouvoir, il est versatile et exigent, et nécessite de nos entreprises plus d’agilité (pour délivrer plus rapidement, nous adapter à un nouveau « time-to-market » beaucoup plus court), plus de créativité et d’inventivité pour proposer sans cesse de nouveaux produits ou services à valeur ajoutée. « La transformation digitale est permanente et n’est pas prête de s’arrêter », nous indique l’auteur. Au lieu de subir ce mouvement ou de lutter à contre-courant, l’auteur nous invite au contraire à profiter de sa puissance pour nous laisser transporter, pour nous réinventer.
Le salarié est un client comme les autres
Et oui, selon Olivier Bas, nous en avons notre avenir en main : pourquoi serions-nous fâchés contre ce client trop exigent quand nous le devenons nous-mêmes à d’autres moments de la journée ? L’auteur nous propose de réconcilier cette schizophrénie client / salarié, grâce à la logique de symétrie des attentions, qui commence avec la direction et le management de l’entreprise : prendre en compte les attentes des collaborateurs, les manager dans la bienveillance plus que dans l’autorité, entraine par ricochet ou plutôt par propagation, un état d’esprit plus positif chez les salariés, grâce auquel le client n’en sera que mieux servi… Un enjeu clé pour la prospérité de nos organisations tant qu’il y aura des humains-salariés face à des humains-consommateurs, et que les premiers ne sont pas encore remplacés par des robots ou quelqu’agent conversationnel intelligent que ce soit.
En 2020, la jeune génération représentera 50% des actifs en France
Elle a bon dos cette jeune génération Y ou Z tombée dans la technologie quand elle était toute petite… Même si les études nombreuses qui les ont regardés à la loupe sont souvent contradictoires, Olivier Bas souligne quelques caractéristiques de ces jeunes qui seront près de 6 millions à rentrer sur le marché du travail d’ici 2020 : sensibles au sens de ce qu’ils font, à l’autonomie qui leur est confiée comme à la rapidité de prise des décisions, ils ont besoin d’agir et « carburent à la relation » : un carburant qui se mesure en nombre de contacts sur les réseaux sociaux, mais aussi en besoin de feed-back réguliers au travail. Ils bousculent les codes que les générations précédentes pensaient immuables et pourtant, portent en eux les gênes d’une révolution sociétale que leurs grands-parents soixante-huitards auraient rêvé de vivre ! Tâchons de travailler ensemble, pour donner naissance à ce qu'Olivier Bas appelle une "génération hybride" [NDLR : surtout dans le contexte d’allongement des carrières qui va voir cohabiter de plus en plus de générations dans les organisations] prête à construire un nouveau collectif où chacun trouvera sa place !
« Chouette le monde change »
Voilà une phrase que j’aimerai crier haut et fort chez tous mes clients ! Bien sûr qu’elle remet en cause toutes nos certitudes et nos habitudes : le temps long n’est plus face à la frénésie de l’immédiateté, tout ce qui n’est pas né d’hier est déjà vieux, l’autorité n’est légitime que si elle encourage le savoir tandis que l’expertise est aussi dépassée par l’entraide et l’intelligence COllective… Mais au lieu de nous crisper sur ce que nous connaissions, Olivier Bas nous invite à « hacker nos zones de confort », à sortir des sentiers battus, à tenter le test&learn. Le fait même d’agir au milieu de ce bouillonnement nous permet d’aller de l’avant, de sortir du « c’était mieux avant ! » ou du « on a toujours fait comme ça », bâtis sur des émotions négatives comme la peur de l’inconnu, la colère de devoir faire des efforts ou la nostalgie d’un passé idéalisé, qui alimentent l’attentisme et la résistance au changement.
L'intuition comme carburant de l'innovation
En pleine période de « destruction créatrice » pour reprendre la célèbre théorie de Joseph Schumpeter, même la façon d’innover se transforme : open innovation, innovation participative, innovation frugale, … l’innovation qui n’est plus réservée aux ingénieurs des services R&D mais qui peut diffuser dans toute l’entreprise, à condition qu’elle ne relève pas uniquement d’une injonction à innover ! Olivier Bas encourage nos organisations à nous laisser de la place pour nous exprimer, pour écouter nos petites voix intérieures vis-à-vis des manques, frustrations ou contraintes du quotidien, et ainsi trouver des réponses créatives et originales aux nouveaux défis auxquels nous faisons face.
Douter pour se préparer à agir
Dans un monde VUCA qu’il n’est plus besoin d’essayer de décrire (volatile, incertain, complexe, ambiguë), toute décision est d’autant plus difficile à prendre … mais que dire d’une demi-décision, voire de l’absence de décision … ? Evidemment que ce contexte toujours plus complexe encourage les doutes voire une certaine paralysie. Mais « faire des mauvais choix est à la fois la preuve que nous sommes humains et actifs », explique Olivier Bas. Faisons du proverbe « qui ne tente rien n’a rien ! » notre maxime quotidienne, avec un brin d’optimisme dans le ton, histoire de duper notre système cognitif. Chiche ?
Emotions et appétence digitale
On oublie trop souvent que start-up signifie « commencez avec enthousiasme (ou excitation au choix) » : adopter l’esprit start-up ne consiste pas à répandre des baby-foot dans les salles de pause, c’est plutôt faire en sorte de développer face au numérique des émotions positives, qui vont stimuler notre appétence vis-à-vis des nouveaux outils de travail digitaux. Olivier Bas parie que les grincheux sont plus technophobes, encouragés dans leur défiance par un univers professionnel où le mot problème est sans doute le substantif le plus utilisé dans notre quotidien. Pourtant si nous nous réjouissons de nos petites victoires chaque jour, nous cultivons d’abord une meilleure estime de nous-mêmes, et ensuite nous voyons davantage chaque difficulté comme une occasion d’apprendre ou comme une promesse de progrès… N’est-ce pas comme ça qu’on « like son job » ?
Happy technology et "décontraction digitale"
Les études sur les temps de connexion et en particulier l’hyperconnexion aux outils de travail sont nombreuses : elles révèlent des comportements excessifs et anxiogènes, qui sont moins liés à la seule technologie qu’à la nature humaine que cette dernière vient exacerber… Notre incapacité à nous déconnecter est révélatrice de nos peurs : crainte de décevoir, de ne pas être à la hauteur, d’être pris en défaut (celle-ci occasionne aussi un usage exagéré de la fonction « destinataire en copie » du mail !), mais aussi peur de ne pas être dans le coup, de rater quelque chose,… et si on va un peu plus loin, peur du vide de nos vies … Olivier Bas nous invite à la « décontraction digitale », qui passe par un usage du mail plus modéré : mise en veille, relations réelles plutôt que virtuelles, … Voilà qui ne devrait pas nous faire de ma(i)l !
Stop au jargon... pour entrer en communication
Si vous n’êtes pas CDO -que dis-je, Chief Digital Officer- cette série de mots ne vous parlera peut être pas : ATAWADAC, SCRUM, user centric, BYOD, … un jargon qui se développe aussi vite que la transformation digitale et qui concourt à créer plus d’ambiguïté que de clarté ! Au contraire, Olivier Bas nous engage à nous exprimer au travail comme dans la vie, avec des mots simples… et positifs !
Cette posture facilitera nos relations avec les autres : car si avec le digital, l’information est devenue massive et fabrique tous les jours de nouvelles connaissances disponibles sur le web, elle a besoin d’être considérée et pour cela, que nous entrions en relation avec les autres pour confronter nos points de vue, discuter, construire collectivement nos convictions. Car c’est bien de l’association de nos idées, de nos différentes sensibilités et émotions face à un sujet que peut émerger la fameuse intelligence collective, celle avec laquelle aucune IA ne pourra rivaliser.
Reprendre le pouvoir sur le temps
La perception du temps s’est considérablement raccourcie et en même temps, notre espérance de vie s’allonge, autrement dit, aurions-nous désormais plus de temps pour tout faire plus vite ? Un comble ! Et d’autant que nos capacités cognitives sont franchement dégradées avec la vitesse et la pression de l’urgence : mémoire, capacité d’attention, raisonnement, … « Démasquons les obsédés du tout tout de suite », martèle Olivier Bas, à peine cachés derrière leurs demandes ASAP. Ils concourent à générer un zapping intellectuel, fait de multiples interruptions, qui a un impact très négatif sur notre productivité. « La vitesse seule est une performance illusoire », ajoute-t-il… A nous de reprendre le pouvoir sur le temps, en priorisant, en trouvant le rythme juste, un savant équilibre propre à chacun, entre rapidité et temps de pause… un peu comme les coureurs pratiquent le fractionné pour s’entrainer et récupérer !
De même, prenons soin de notre cerveau après ces journées parfois stressantes, comme nous éteignons ordinateur et smartphone, mettons notre cerveau au repos, en ramenant à la maison des histoires positives de nos journées de travail ou encore en pratiquant la méditation de pleine conscience pour prendre possession du moment présent…
Alors oui, la transformation digitale est inéluctable, et personne ne sait dire à quoi ressemblera le travail dans 10 ans … Certainement que les salariés seront « augmentés » par l’intelligence artificielle, les objets connectés ou la réalité virtuelle, les entreprises digitalisées, robotisées et étendues (que ce soit par le télétravail et les new ways of working comme par le développement du freelancing et du slashing), que les futures générations devront faire 4 ou 5 métiers dans une vie professionnelle si ce n’est 2 ou 3 jobs en même temps, …
Si vous êtes terrifiés à cette idée ou que vous n’avez de cesse d’entendre votre oncle Gérard (je précise que je n’ai rien contre les Gérard…) râler « parce que c’était mieux avant » lors des repas de famille, je ne saurai vous inviter à lire ce petit livre bleu dont la couleur rafraichissante et le contenu nous invite à une lecture plus engageante et optimiste des transformations à l'oeuvre... A bon entendeur !
par Gaëlle Roudaut