Cela fait beaucoup trop longtemps que je n’ai pas partagé de contenus sur ce blog, prise par ma certification en coaching et l’écriture d’un ouvrage à paraître au printemps prochain… et pourtant, j’ai eu l’occasion au travers de ces deux projets de lire et de découvrir de nombreuses sources très riches. C’est notamment le cas du nouveau MOOC du CNAM sur la plateforme FUN animé par Cécile Dejoux. J’avais déjà apprécié les précédents (dont vous retrouverez des synthèses en parcourant ce blog), mais cette version, très actuelle par son contenu et les témoignages qui ont été apportés, m’a semblé d’autant plus intéressante à partager. Comme toujours, vous en trouverez quelques éléments synthèse et une illustration sketchnotée.
Bienvenue en incertitude
Ce titre n’est pas de moi mais de Philippe Sylberzahn (dont vous trouverez aussi quelques références sur mon blog). Il résume pour autant très bien ce monde dans lequel nous évoluons tous désormais, à l’ère du Covid-19, comme nous le rappelle le MOOC. « L’incertitude devient notre nouveau normal ! » explique Cécile Dejoux.
L’incertitude recèle de nombreuses opportunités : et notamment celles de nouveaux apprentissages, comme le montre l’étude des chercheurs américains de Yale publiée dans la revue Neurones. L’incertitude offre aussi l’opportunité d’innover comme de nombreux acteurs ont pu le montrer pendant la crise sanitaire, car c’est une façon de faire sauter les verrous et les processus réconfortants en période de stabilité, pour aller à l’essentiel et se recentrer sur ce qui est vraiment important.
Selon une étude de DELL, mentionné dans le MOOC, 8/10 entreprises disent avoir accéléré leur plan de transformation et 75% ont changé de business model. Les transformations se sont opérées à 3 niveaux :
- Au niveau des outils : avec le passage en travail à distance, s’appuyant sur les outils numériques (intranet, outils de webconference et de collaboration …)
- Au niveau de l’organisation : toute la chaine de valeur jusqu’au consommateur a été impactée par la transformation numérique et la crise nécessitant parfois de faire pivoter l’activité de l’entreprise et son modèle en mode « phygital »
- Au niveau managérial : avec le travail à distance, le manager a vu son rôle revisité : il doit réimaginer sa posture, ses activités, en fonction de ce qu’il connait, mais aussi des nouveaux moyens à sa disposition, pour recruter, déléguer, animer, contrôler, engager le collectif, etc. Cela signifie en particulier s’assurer du bon rythme de la transformation pour l’ensemble de l’équipe, tout en veillant au risque de décrochage (fragilité, risque de RPS, …) le tout dans un nouvel environnement de travail hybride et ses contraintes (confidentialité, sécurité de l’information, …).
Mais, en période d’incertitudes, il y a de plus en plus de paradoxes, ils peuvent être le résultat d’un changement de monde (élément du passé en friction avec le nouveau monde) et être à l’origine de nouveaux paradoxes : pour faire face à un paradoxe, nous avons tendance à produire de nouvelles règles, mais inapplicables dans ce contexte, nous les complétons d’exceptions, qui toutes autant qu’elles sont produisent de nouveaux paradoxes ! Pour faire face à ces paradoxes, les postures qui consistent à se concentrer sur le présent pour sauver l’essentiel, ou encore à agir en frugalité à partir des ressources disponibles, ou encore à développer son ambidextrie (mieux faire ce qu’on sait déjà faire et explorer de nouvelles voies), sont autant de pistes. Pour cela, savoir s’informer (ce qui suppose de distinguer les fake news, d’accepter les controverses, de repérer des signaux faibles) est aussi important que de savoir prioriser et évaluer la portée des actions mises en œuvre. Cécile Dejoux décrit les managers, en période d’incertitude, comme des « managers à la pagaie ».
Le manager à la pagaie
Vivre en incertitude, manier les paradoxes et surfer sur les accélérations, nécessite pour le manager de développer 3 capacités : développer son adaptabilité pour savoir utiliser les éléments de contexte qu’il capte comme des opportunités pour son activité et le fonctionnement de son équipe, être capable de pivoter, à la manière des startup qui changent de business model pour monter en scalabilité, mais aussi faire de l’urgence une opportunité pour saisir dans son environnement les ressources disponibles et les mettre à profit de la performance de son équipe ou de nouvelles façons de travailler.
A sa disposition pour développer ses capacités, deux grandes méthodes : l’effectuation, tout d’abord (que j’ai déjà abordé de nombreuses fois sur ce blog) et sa logique de pragmatisme plutôt que de prédiction, qui permet de créer le contexte et de co-construire des solutions au lieu de subir les aléas en essayant d’appliquer des process qui ne sont plus adaptés. Et le lean startup, ensuite, une approche qui place l’utilisateur au cœur de la proposition de valeur : co-construire avec les collaborateurs des MVP (mininum viable product) va permettre aux managers de trouver des solutions en temps réel aux nouveaux problèmes qui vont se présenter à l’équipe.
A la fois, rapide, humain mais efficace, le « manager à la pagaie » que décrit Cécile Dejoux, surfe sur les opportunités et vit avec son présent, il garde l’esprit du manager agile, capable de faire des échecs des occasions d’apprentissage, centré utilisateur et que les itérations font progresser dans sa démarche d’innovation. Le manager doit également devenir modélisateur selon Cécile Dejoux : dans un environnement plus complexe et incertain, savoir utiliser les données peut constituer un atout réel. En développant la culture du feedback, non seulement il dynamise son équipe dont il suscite les idées et l’engagement mais capte également des données utiles. Sa capacité à visualiser et à transformer ses données en connaissance le prépare aussi à travailler et à manager dans un monde professionnel où l’humain et l’IA seront de plus en plus amenés à cohabiter.
Lieu de travail : l'hybride devient la norme
Avec la pandémie, le travail à distance qui ne concernait qu’une minorité d’entreprise s’est imposé. Il est même devenu selon le baromètre Malakoff Humanis, une priorité stratégique puisque 67% des dirigeants seraient d’accord pour installer le télétravail dans la durée dans l’entreprise et 75% des salariés pour continuer ponctuellement ou de façon plus pérenne. Mais cette nouvelle composante du travail nécessite des managers de piloter l’activité de leurs équipes en mode hybride (une partie de l’équipe peut être en présentiel quand l’autre est à distance, et le manager lui-même peut se trouver dans l’une ou l’autre des situations).
Si le phygital (combinaison entre les interactions physiques et les interactions digitales) est déjà très présent dans la relation client, il s’invite désormais dans la relation salarié/entreprise, dans toutes ces dimensions (présence/distance, numérique/physique, synchrone/asynchrone).
Si les avantages du télétravail ne sont plus à prouver (15% de productivité en plus, une emprunte carbone améliorée, des coûts logistiques et immobiliers optimisés, de la liberté et de l’autonomie pour les salariés, un argument différenciant de marque employeur, etc.), des inconvénients, déjà bien connus, se sont invités (isolement des collaborateurs, désorganisation, fatigabilité, RPS, moins de temps collectifs, …) : des éléments à mettre en perspective bien évidemment des métiers ou encore des secteurs, voire même du niveau d’autonomie du salarié dans son activité ou encore des types d’activité : si la distance peut être propice à la concentration, qu’en est-il de la créativité, du team building, du onboarding des nouveaux salariés ?
Alors, comment devenir un manager en mode hybride ? Dans ce MOOC, Cécile Dejoux invite les managers à questionner leurs missions traditionnelles : comment décider ? motiver ? contrôler ? Elle incite également le manager à se positionner comme une ressource pour son équipe : au lieu de chercher à contrôler systématiquement l’accomplissement des tâches confiées, essayer de comprendre pourquoi tel ou tel membre de l’équipe n’a pas réussi à atteindre son objectif, quels éléments de contexte ne lui ont pas été favorables, et ainsi devenir une ressource au service de la réussite de ses collaborateurs. Elle insiste également sur le rôle du manager dans la création et le maintien des liens entre collaborateurs de l’équipe, mais aussi avec les écosystèmes de travail, pour faciliter la circulation de l’information à tous les niveaux. Enfin, dernière clé du management hybride, la vigilance du manager vis-à-vis des signaux faibles qui ne sont pas toujours faciles à capter à distance.
De la gestion du temps et des priorités
Le monde d’après ne sera plus le même que celui d’avant la crise sanitaire, c’est au moins une certitude. Cette période nous a appris aussi l’importance de revenir à soi : quel sens trouve-t-on dans notre activité ? qu’attendons-nous du travail ? quelles évolutions peut-on apporter pour améliorer ce que l’on fait ou sait faire ? Mais aussi comment reprendre le pouvoir sur son temps et sur son niveau d’énergie (ce qui nous en donne pour, en tant que manager, pouvoir en donner aux autres). Ces soft skills centrées sur l’individu sont, pour Cécile Dejoux, aussi essentielles en cette période. Mais savoir prioriser et améliorer son activité ne doit pas conduire à la création de nouveaux process, façon millefeuille. Au contraire, il s’agit de réussir à abandonner des tâches pour être capable de réallouer ses ressources et libérer ses capacités d’innovation. En tant que manager, c’est la capacité même à prendre des décisions qui est questionnée par l’incertitude : quels sont les principes qui prévalent pour prioriser :
- S’agit-il de l’arbitrage entre mettre en œuvre les processus habituels ou au contraire défier la norme pour solutionner des problèmes ?
- S’agit-il de maintenir l’activité parce que la continuité est plus importante ou alors de s’adapter pour essayer de trouver un nouveau scénario en réaction ou disruption ?
- S’agit-il, face à un aléa, de créer de nouvelles taches pour faire face ou de supprimer des taches qui ne sont pas essentielles ou de les reporter pour réévaluer la situation une fois sorti du contexte ?
- S’agit-il enfin, de contrôler l’exécution ou de faciliter l’action en demandant du feedback ?
Si les décisions et contre-décisions se prennent à la pagaie, communication et confiance permettront au manager de supprimer les points bloquants, de réallouer les tâches avec frugalité, de réorganiser efficacement la délégation tout en valorisant les petits succès et en développant l’autonomie et la capacité de décision de chacun des membres de l’équipe.
A l’ère Covid-19, dans ce contexte désormais normal, complexe et incertain, le manager devient un acteur clé : pour assurer la continuité de l’activité avec des solutions nouvelles, frugales et coconstruites, pour faire monter en compétences les équipes, les soutenir et les engager… face à des incertitudes et des paradoxes -règles et exceptions- et à l’accélération des transformations qui nécessitent de décider vite et souvent. Tout un programme… qui n’est pas près de s’arrêter !
Pour en savoir plus : rendez-vous sur France Université Numérique pour suivre le MOOC et découvrir ses nombreuses ressources et interviews !!
Par Gaëlle Roudaut