Le 23 avril dernier, depuis leur salon, les étudiants du Master GRH de l’IAE Gustave Eiffel et les intervenants des "RH hackent le digital", nous ont offert une série d’ateliers pendant 4h de webconférences : recrutement, onboarding, formation, mobilité interne et enfin data RH. Autant de sujets sur lesquels la technologie a permis de nombreuses avancées ces dernières années (et dont les pratiques ont été sans doute boostées par la période que nous traversons), la question étant de savoir comment les RH se les sont-elles appropriées ? En ont-ils fait de nouveaux moyens au service de l’expérience collaborateur et du lien humain, ou au contraire ont-ils cédé aux sirènes de la technologie en mettant en place de rutilants gadgets débordants de fonctionnalités ? Pour répondre à cette question, les solutions présentées par les startups pour chacune des thématiques étaient dans la foulée interrogées par des RH issus du monde de l’entreprise ou du conseil. Une façon originale de hacker le format webinar auxquels les vendeurs de tous poils nous ont habitués ces dernières semaines.
Pour commencer, Geoffroy de Lestrange, Product & Marketing Manager EMEA chez Cornerstone On Demand, partenaire de l’événement, a délivré quelques enseignements de la crise que nous traversons actuellement : à la fois elle nous rappelle le sens des priorités remettant en lumière des salariés qui oeuvrent au quotidien pour nous permettre de nous nourrir et de rester en bonne santé, accélérant le travail à distance et l’exigence de transparence des salariés vis-à-vis des organisations, mais elle a aussi renforcé la collaboration, l’entraide, permis de revenir à la relation par les moyens digitaux qui se sont imposés (sondage, formation en ligne, outils de communication, …). Enfin, cette crise a permis à certains de se découvrir de nouvelles compétences, d’innover avec les moyens du bord (ce que les indiens appellent l’innovation Jugaad) profitant notamment du partage de données : c’est ainsi que les masques Decathlon ont trouvé une nouvelle mission, qui l’aurait soupçonné ? Geoffroy de Lestrange nous invite à garder cet état d’esprit, à continuer à faire mieux ensemble, tout en acceptant les incertitudes d’un monde dans lequel le changement est désormais permanent.
Recrutement : la fin du parcours du combattant ?
Le premier atelier portait sur le recrutement : il est souvent vécu comme un parcours du combattant par les candidats qui, pour 50% d’entre eux, ne vont pas jusqu’au bout du processus de candidature à cause de sa longueur et de sa complexité (quand on pense qu’il faut 20 clics en moyenne sur de nombreux sites carrière pour postuler à une offre, l’acte de candidature est un vrai moyen d’évaluer la persévérance des candidats…). Autant dire que le recrutement digital n’a pas encore tenu toutes ces promesses. Les candidats se heurtent également bien souvent au problème du vocabulaire : vous avez dit chef de projet ? mais ça veut dire quoi au fait ??
Des startup comme CV Catcher qui, grâce à l’IA, sont capable de repérer dans le contenu d’un CV les informations relatives aux compétences du candidat pour lui proposer une offre d’emploi pertinente ou encore de postuler en un clic, permettent de faire converger les 2 expériences : celle du recruteur, et évidemment celle du candidat, le premier ayant également plus de temps pour en passer avec le second. Mais les promesses de l’IA sont à la hauteur de son exigence, rappelle Cédric Cohen Lember de Textkernel : une IA, qui fonctionne en deep learning, c’est-à-dire par apprentissage, consomme une grande quantité de données et elle ne pourra être pertinente que si elle est nourrie par les équipes RH. Sans cet effort, le matching offre/candidat ne saurait être adéquat et risquerait même d’entrainer des biais importants. Autre enjeu : une expérience candidat qui prenne en compte les codes du e-commerce y compris sur mobile tout en délivrant aux équipes RH des candidatures qualifiées.
Welcome onboard !
Le deuxième atelier portait sur le « onboarding », autrement dit l’intégration des nouveaux embauchés dans l’entreprise. Une thématique sensible quand on sait qu’un tiers des cadres démissionnent dans l’année à cause d’un mauvais accueil dans l’entreprise. Absence de l’équipe le jour de l’arrivée, absence de matériel voire de bureau pour travailler… des anecdotes du premier jour en entreprise, nous en avons tous en tête… on est loin de l’accueil personnalisé, social, réciproque, aligné sur les valeurs de l’entreprise et qui serait orchestré automatiquement, dont rêvent tous les RH ! Certaines startup comme Onboarder ou Workelo ont pourtant des solutions pour faire des 120 premiers jours une expérience nouveau collaborateur positive permettant de découvrir l’entreprise tout en tissant des liens : parcours d’information qui proposent des jeux, du contenu, des vidéos, des circuits découverte, envoyés par SMS ou mail, relance du manager associé à l’étape d’intégration, … les solutions revendiquent leur simplicité et la prise en compte du « préboarding » cette fameuse période blanche au cours de laquelle le collaborateur n’est pas encore arrivé dans l’entreprise et qui permet pourtant non seulement de gérer les aspects administratifs mais également de commencer à lui présenter l’organisation, participant à créer ce fameux sentiment d’appartenance. Attention, toutefois à ne pas perdre de vue l’essentiel, rappelle Sévérine Loureiro, de l’agence Points de contacts, « l’objectif du onboarding c’est avant tout que le nouveau collaborateur se sente vite opérationnel dans son poste ! » Et Véronique Montamat de Sopra HR d’ajouter que l’enjeu pour les RH est à la fois de créer des interfaces avec le SIRH dont les API (Application Programming Interface) sont « user friendly » comme de gouverner les données produites et issues de ces nouveaux services en ligne.
Formation et IA au service des compétences ?
L’atelier suivant était consacré à la formation et notamment les usages de l’IA pour développer les compétences : une gageure quand on sait que 92% des entreprises forment encore en présentiel (selon une étude Unow). Pour la startup FlashBrand, l’intervention d’un chatbot intéragissant avec l’apprenant permet de maintenir son engagement dans la formation en prenant en compte ses objectifs, ses forces et ses faiblesses ou encore son stress, mais aussi ses feed-back afin d’adapter le contenu de formation qui lui est proposé. Chez Edzo, spécialiste de la formation pour le secteur du retail, l’IA permet aux conseillers et vendeurs en magasin d’accéder à la bonne information au bon moment : elle peut également faire appel à des experts pour combler des « trous » de connaissance, et facilite ainsi la collaboration au sein des équipes.
Quand on sait que seuls 6% des personnes savent apprendre seuls, il n’est pas étonnant de voir que les dispositifs d’auto-formation sont souvent laissés à l’abandon : mettre à disposition du contenu ne suffit plus, la formation digitalisée et augmentée par l’IA doit prendre en compte la motivation de l’apprenant, lui permettre des interactions, des mises en pratiques et se situer au plus près des situations de travail, ajoute Alexandra Lange directrice du Développement RH d’AG2R La Mondiale. Et l’enjeu de « reskilling » est de taille pour préparer les salariés aux métiers de demain, insiste Yannig Raffenel, fondateur du Learning Show et du Cluster Ed-tech de l’Ouest.
Mobilité interne : fidéliser plutôt que laisser s'échapper...
Le webinar s’est poursuivi avec l’atelier sur la mobilité interne. Une thématique d’importance quand on sait qu’un recrutement interne coûte en moyenne 50% moins cher qu’un recrutement externe. Et pourtant, aujourd’hui, peu de RH ont une réelle stratégie en la matière et encore moins outillé la démarche, tandis que du côté des salariés, l’exigence sur la transparence des process de mobilité interne est d’autant plus forte qu’il y a de la compétition : autrement dit, plus question de se contenter de déjeuner à la cantine avec les bonnes personnes pour évoluer dans l’entreprise !
Avec des managers qui freinent parfois à laisser partir leurs bonnes recrues, des collaborateurs qui ont le sentiment que la démarche de mobilité est plus simple vers l’externe que vers l’interne, Wiserskills utilise l’IA pour proposer au salarié des offres de poste interne en fonction de ses compétences et de ses motivations : toujours soumises à l’appréciation du salarié qui les évaluent, les propositions sont affinées et permettent de faire évoluer le modèle de la solution, dans une logique « test&learn ». Autre approche de matching, celle de Monkey Tie : la solution s’appuie sur un modèle de données gigantesque et sur 3 axes : une auto-évaluation des compétences du salarié mis en regard de son parcours, un questionnement de ses affinités, valeurs, motivations intrinsèques, et enfin la découverte des métiers de l’entreprise, pour un matching qui ne laisse rien au hasard ! Face à ses solutions Michel Barabel rappelle qu’elles doivent de plus en plus prendre en compte la dimension transversale des métiers (les entreprises fonctionnent en mode projet), l’expérience à la fois digitale, humaine mais aussi émotionnelle, l’évolution de plus en plus rapide des compétences et enfin la finalité positive de la technologie, autrement dit « tech oui, mais tech for good » ! Franck Thibault, HR Global Analytics & SWP Head chez Sanofi, invite à sortir des logiques de gestion prévisionnelle des emplois et compétences avec des passerelles toute tracées, mais plutôt à prendre en compte les compétences transverses des collaborateurs, à associer les managers à la politique de mobilité interne et à s’interroger aussi sur les risques pour l’entreprise de voir certaines compétences s’en aller.
Big data RH pour plus de diversité et d'inclusion
Dernier atelier, consacré aux datas animé par Bénédicte de Raphaelis Soissan, fondatrice de Clustree et Patrick Storhaye du cabinet Flexity : « les datas peuvent participer à construire un environnement plus inclusif et à la diversité dans l’entreprise, notamment en réduisant les biais cognitifs qui nous limitent », indique Bénédicte de Raphaelis Soissan. Oui, mais les RH ont été happés par les problématiques liées à leur process : besoin de connaître le corps social, de piloter les actions dans une logique ROIste renforcée par un syndrome d’infériorité face aux DAF dont les chiffres et la logique financière gouvernent les organisations. Prendre en main les datas RH nécessitent de muscler les équipes RH sur l’analyse des données, un défi quand dans certaines organisations on a du mal à sortir des chiffres cohérents entre RH et Contrôle de gestion sur les effectifs. Au dela du sujet d’architecture informatique entre les systèmes d’information, cela nécessite de savoir expliquer ses données, le résultat des traitements informatiques : « c’est la condition pour ne pas reproduire les biais du passé, pour que les datas nous aident à détecter des biais moins évidents, et pour les monitorer », précise Bénédicte de Raphaelis Soissan, autrement dit pour ne pas tomber dans le « big data, small brain » alerte Patrick Storhaye.
Il y a finalement encore beaucoup à faire, même si les technologies ont pris de plus en plus de place dans le métier des RH, pour que ces derniers hackent vraiment le digital. Autrement dit que l’humain comme l’éthique, soient réellement au cœur des stratégies et des choix d’outils, afin d’en finir avec la tech gadget, et que celle-ci soit là pour ouvrir les chacras et éclairer les décisions ! A bon entendeur !
Comme souvent, j’ai sketchnoté en live l’ensemble des interventions et les ai ensuite au fil de l’après midi relayées sur Twitter. Pour retrouver ce résumé en image et tout comprendre de cet événement riches de partage, voici l’ensemble des sketchnotes en vidéo (2min55) !
par Gaëlle Roudaut