Le 5 octobre dernier se tenait le RRHDay, organisé par Jobsferic et son partenaire SopraHR, au cœur du très beau lycée Chaptal à Paris. Une matinée bouillonnante qui a permis à de nombreux acteurs de la fonction RH, chercheurs, DRH, consultants, influenceurs, startupers, de s’exprimer sur l’évolution de la fonction dans un monde du travail en pleine mutation.
Compte tenu des nombreux journalistes et influenceurs présents sur l’événement, je ne vais pas faire un billet de synthèse des principales présentations que d’autres feront bien mieux que moi… Par contre, j’ai eu envie de garder de cette journée quelques idées clés qui ont particulièrement retenu mon attention : « disruptives », décalées, simplement justes, fortes… Florilège anti-RH bashing !
Un monde du travail en ébullition
La première table ronde a permis aux intervenants de brosser le paysage du monde du travail dans lequel nous évoluons et notamment d’en mettre en valeur ses nombreuses injonctions paradoxales : notre société est ainsi plus hédoniste mais aussi plus judiciarisée, digitalisée mais de façon inégale, plus financiarisée et axée sur la performance tout en développant les initiatives collaboratives et humaines (économie du partage, sociale et solidaire), … Les intervenants évoquent également le décalage entre l’offre et la demande sur le marché du travail, le décalage entre les nouveaux besoins de compétences, notamment comportementales (les fameuses « softskills) et les enseignements du supérieur, le décalage entre les attentes des jeunes générations entrant dans le monde du travail et la proposition de sens de l'entreprise. Au quotidien, la relation au travail change : les salariés recherchent plus d’équilibre vie professionnelle et vie personnelle, plus de prise en compte de leurs besoins par l’entreprise, même au plan psychologique. Les frontières même de l'entreprise ne fonctionnent plus : évolution des statuts, développement du slashing et du free-lance, corporatehacking, ... Dans ce contexte, les intervenants invitent les professionnels des RH à concevoir l'organisation comme un système ouvert et à intégrer le fait que la révolution du travail est désormais continue, c'est un bouillonnement permanent dans lequel ils ont un rôle essentiel à jouer !
Pour une fonction RH plus agile et performante
Aussi, Yves Grandmontagne, ex-DRH de Microsoft et nouveau président du Lab RH, reproche aux acteurs RH de ne pas être encore assez présents sur l'efficacité organisationnelle dans les entreprises, notamment via les outils collaboratifs et les usages qu'ils vont entraîner au service de la performance collective. Dans le même sens, François Geuze, influenceur RH, universitaire et auditeur social, dénonce la gadgétisation des projets RH qui jouent avec des start-up, réalisent des Proof of concept mais sans jamais faire de bilan...Il dénonce également l'industrialisation de la fonction administrative des RH, enferrée dans les process ... En effet, la fonction RH comme le reste de l’entreprise doit se mettre en ordre de marche pour faire face aux disruptions de son environnement : développer une culture projet plus agile, encourager la collaboration et la créativité, commence par les équipes RH elles-mêmes. De même, les SIRH, doivent être repensés au service de l’ensemble de l'éco- systeme RH et de sa performance.
Prendre en compte l’entreprise élargie
Si l’entreprise n’a plus de frontière et qu’elle accueille des free-lance, des slashers, cela peut bien sûr poser des questions autour de la sécurité de l’information et de la gestion de la confidentialité, mais bien au-delà, cela pose la question de son vivier de compétences. Les intervenants invitent les RH à encadrer la multi-activité pour ne pas risquer la précarisation de ces populations, mais surtout à encourager le développement des pluri-talents. Ils proposent aussi d’installer une gestion spécifique et une conversation avec ces populations d’indépendants : mieux les connaître, les fidéliser, les former, les outiller, sont autant de leviers pour travailler dans de bonnes conditions avec eux, et profiter ainsi de ce qu’ils peuvent apporter à l’organisation, d’ouverture sur le monde et de flexibilité.
Compétences : la guerre de tous les talents !
Jérôme Bouron, DRH du groupe SOS est sans détour : « il faut arrêter de parler de guerre des talents ! » En effet, cela implique que les entreprises se déchirent les meilleurs, mais alors qu’au contraire, les RH doivent considérer TOUS les talents présents dans l’organisation. A la clé, encourager la progression de tous les salariés participera à la compétitivité de l’ensemble de l’organisation.
Les intervenants nous invitent également à ne pas limiter la vision des compétences à celles qui sont déployées dans l'entreprise ! Les salariés ont des talents dans leur vie extra-professionnelle, parce qu’ils participent à une vie associative, sportive, culturelle et citoyenne.
Alors qu’un tiers des métiers qu’exerceront nos enfants encore en primaire, n’existent pas aujourd’hui, les RH doivent considérer les compétences comme un flux et non comme un stock, préparer à la mobilité spatiale comme professionnelle et apprendre aux collaborateurs à apprendre comme à désapprendre.
Ré-enchanter le dialogue social
Une autre idée forte que j’ai retenu de ce RRH Day portait sur le dialogue social. Les relations sociales avec les instances représentatives du personnel doivent être réinventés à l’aune de la transformation digitale. En effet, les entreprises ne prennent pas en considération les talents de leurs représentants du personnel, qui sont souvent cantonnés dans leurs rôles d’élus, sans pouvoir réellement évolué dans l’organisation. Prendre en compte les élus comme des talents dans l’entreprise, leur donner l’occasion de se former plus régulièrement comme d’accéder à des fonctions stratégiques pourrait contribuer à faire évoluer les relations sociales, sortir d’une bataille rangée entre OS et patrons pour aller vers plus de co-construction et d’implication dans les choix stratégiques de l’entreprise.
Une méthode révolutionnaire pour les RH : écouter !
S’il est un conseil qui marquera cette journée, c’est celui d’Aude Amarrurtu, DRH d’Itelios : sa méthode révolutionnaire pour accompagner les transformations, c’est l’écoute ! Pas aussi simple qu’il n’y parait, car écouter les salariés nécessite proximité, relations individualisées avec tous, relais RH de proximité, réalisation d’enquêtes, etc. C’est cependant un levier au service d’une expérience collaborateur personnalisée et équilibrée (notamment dans le cadre de la mise en place du télétravail, ou encore des règles relatives à la déconnexion).
Dans le même sens, Karen Demaison, consultante et anciennement DRH d’Enercoop, indique que "le DRH est aussi un capteur social qui distille de l'authenticité dans les organisations".
Bien-être au travail : moins de gadget, plus d’alignement entre les actes et les mots
Les entreprises doivent permettre aux collaborateurs de retrouver du plaisir au travail, certes, mais ce n’est pas les baby-foot, ni les bonbons qui transforme l’organisation en école maternelle, qui vont créer de l’engagement et attirer des talents. Les intervenants du RRHDay dénonce l’infantilisation derrière l’interprétation du bonheur au travail et les gadgets déployés, comme une excuse pour ne pas transformer en profondeur l'organisation.
Au contraire, le sujet du bien-être au travail et de la qualité de vie professionnelle doit trouver son expression tous les jours. Ainsi, sur fond de bienveillance et de reconnaissance, Karen Demaison propose de solliciter la météo interne de chaque participant en début de réunion pour désamorcer les éventuels conflits et savoir dans quel état chacun vient.
Elle met également en avant le besoin d’alignement des salariés entre l’utilité sociale du projet d’entreprise et leurs propres valeurs personnelles. De nombreux cas de souffrance au travail sont liés à la dissonance perçue par les collaborateurs entre les mots et les actes. Elle pointe également le risque de burn-out lorsqu’au contraire le projet sociétal de l’entreprise génère un sur-engagement des collaborateurs. Karen Demaison invite aussi les acteurs RH à adopter un discours de vérité sur l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle, en particulier dans ces contextes.
Le DRH, un corporate hacker qui s’ignore ?
« Dans un contexte de crise de l’autorité, quand ça tangue, le bon Manager reste en proximité, il est exemplaire mais il sait aussi transgresser les règles », exhorte Pascal Bernard, Président de l’ANDRH IDF. En effet, invités à réfléchir aux qualités du DRH d’aujourd’hui, les intervenants, et notamment Michel Barabel, professeur affilié à Sciences Po et maître de conférence à l’Université Paris-Est, évoquent sa niaque, sa passion, sa curiosité et son leadership pour porter les transformations... sans oublier son rôle de corporate hacker s’il veut faire bouger les lignes de l’organisation !
Faire de l’IA un allié des RH
Un autre sujet au cœur de cette journée RRHDay : l’intelligence artificielle. De cette thématique souvent traitée sous un angle anxiogène, les intervenants invitent les acteurs des RH à s’approprier l’IA et à appréhender sa capacité à libérer des tâches administratives et répétitives. La distance critique doit cependant être de mise, comme Dominique Turcq, fondateur de l’institut Boostzone, qui nous questionne : comment valoriser la diversité des profils quand les nouveaux outils de recrutement par l'IA recherche des "clones" ? Il rappelle qu’en matière d’intelligence artificielle et de compétences de demain, aucun robot, aucune machine ne saura remplacer l'intelligence émotionnelle, la dimension humaine de la relation à l’autre.
Le directeur des ressources humaines est mort, vive le directeur des Humanités !
Les acteurs RH sont ainsi encouragés à aller sur le lien : lien entre salariés, managers, transverses, ...et à développer de nouvelles formes de collaboration, de nouveaux usages, afin de faire du digital comme de l’IA, un levier de performance collective et de transformation. Ainsi, Aline Scouarnec, professeur à l’Université de Caen, également très impliquée dans les travaux de l’AGRH et de l’ANDRH, prône la fin de la fonction RH en tant que telle, pour aller vers une gouvernance au coeur de l'organisation, recentrée sur les personnes, leur diversité, leurs compétences, et les problématiques du travail... ce que Dominique Turcq appelle une direction des Humanités !
S’il fallait retenir 3 mots clés de cette journée et de ce billet, ceux pourraient être ceux d’Alain Tedaldi, directeur général de l’Institut Esprit Service, sur le futur du travail : ENGAGEMENT, AUDACE (test, expérimentation,...) et DIVERSITE (profils, expertises, …) !
Les RH basheurs n’ont qu’à bien se tenir !
Faire la chasse aux silos !
Vous l’avez compris, cette journée était particulièrement inspirante sur l’avenir de la fonction RH… Mon seul regret : qu’un intervenant indique que la communication RH doit être rattachée à la DRH et non à la Direction de la communication… Quand on vient de parler de compétences, de collaboratif et d’intelligence émotionnelle pendant une matinée, c’est un peu dommage qu'on en soit encore à ce genre de guerres de chapelle, non ?
par Gaëlle Roudaut
Ressources complémentaires :