Le 6 avril dernier, j’étais invitée à participer au colloque de Sup des RH, une grande école spécialisée dans la formation en ressources humaines. Ce colloque organisé annuellement par les étudiants de Master sous la houlette de leur responsable pédagogique, Myriam Debodard, marquait également les 20 ans de la création de cet établissement, premier CFA 100% RH qui a formé plus de 4 800 étudiants, à la fonction RH. Pour fêter ce bel anniversaire, la scène mythique des Folies Bergères a fait place à 4 tables-rondes d’experts autour de la thématique du « Co et des nouveaux modes de travail ». Une occasion en or de partager sur l’évolution du rôle des RH et des managers avec les étudiants et les professionnels représentés.
A la fin de leur cursus, les étudiants de Master de Sup des RH poursuivent leur travail de recherche, le mémoire de fin d’études, par l’organisation d'un colloque. L’intervention et les échanges avec les professionnels sur la thématique de cet événement, donnent ensuite lieu à l’écriture collective d’un livre blanc. Un travail collaboratif qui s’appuie également sur les discussions avec les intervenants du colloque.
Collaboratif : passer du "je sais" au "je veux"
La première table-ronde à laquelle j’intervenais, intitulée « Co et digitalisation, des nouveaux outils aux impacts », a été d’abord été l’occasion de rappeler les circonstances qui « imposent » la transformation digitale aux entreprises : rester réactif, performant, au service d’un client de plus en plus exigeant et ATAWAD (any time, any were, any device), face à une concurrence accrue, et dans un monde VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity & Ambiguity…). Ainsi les organisations n’ont plus le choix, la transformation est vitale pour qui veut éviter « l’uberisation » et rester dans la course... Face à cette réalité, les entreprises intègrent parfois la dimension digitale et les nouveaux modes de travail collaboratifs dans l’urgence, pensant qu’un gadget technologique va leur permettre de rester dans le coup. Mais l’équation ne se résout pas en un clic, la transformation digitale est un projet d’entreprise, qui nécessite de l’inscrire dans la stratégie de l’organisation, d’intégrer ses transformations aux enjeux business ou encore managériaux. J’ai eu l’occasion de rappeler à cet égard à quel point se donner un temps d’écoute de l’organisation, de mesurer la maturité digitale des collaborateurs et d’entendre leurs besoins par rapport à l’introduction de nouveaux outils de travail, pouvaient être important pour aborder un projet de transformation des modes de travail avec le numérique. A ma table, Hugo MANOUKIAN, co-fondateur de la start-up MoovOne qui propose du coaching online aux managers, a également rappelé l’importance d’intégrer le middle-management comme un maillon essentiel dans la transformation digitale : former, accompagner, coacher les managers pour qu’ils passent du « je sais au je peux puis je veux » est un enjeu clé de la réussite de ce type de projet. Cette première table ronde a également permis de soulever la problématique de la sécurité des données, qu’il s’agisse de la mise en place du fameux RGPD, de protection de l’environnement informatique ou encore de partager des bonnes pratiques et les mises en garde liées à l’usage des outils du « shadow IT », selon Malika-Maud DUQUET, Data Protection Officer, dans une grande entreprise du luxe. Enfin, la table-ronde a également permis d’aborder les impacts notamment sous l’angle culturel dans nos organisations : faire fi de la culture statutaire, oser prendre la parole malgré la peur du jugement, accepter que l’information circule différemment -plus vite et de façon transversale- dans l’entreprise, autant d’évolutions culturelles profondes que les RH doivent accompagner afin que la transformation digitale des modes de travail révèle tout son potentiel au service de la performance de l’organisation.
Collaboratif et espaces de travail : trouver un nouvel équilibre organisationnel
La seconde table ronde, intitulée « Collaboratif et redéfinition des environnements/espaces/modes de travail » rassemblait Arnaud BANOUN, co-fondateur de PERFORMANCE LAB et Chercheur et Professeur associé à l’EDC Business School, Franck OUSTRIC, Chief Security Officer, BNP Paribas, Agnès LECLEVE, Responsable services généraux QVT-Santé & Sécurité, chez ENGIE IT, et Christine ARYS, HR Change Manager chez BNP PARIBAS. Les intervenants de la 2e table ronde ont témoigné des expériences menées au sein du Groupe BNP Paribas ou encore du Groupe Suez autour des nouveaux environnements de travail. Comment le flex office change la donne ? Quels sont les objectifs collaboratifs de ces nouveaux espaces de travail ? Quel est le nouvel équilibre organisationnel à trouver avec ces nouveaux bureaux ? Quel que soit les retours d’expérience, les intervenants se sont accordés à rappeler l’importance de la conduite du changement ou encore de l’exemplarité managériale. Ils ont également mis en exergue un point clé : dans le cadre de la mise en place de lieux de travail innovants, les entreprises doivent se poser la question de la cohabitation des générations (qui va devenir de plus en plus prégnante avec l’allongement des carrières) mais aussi des 5 sens : bruit, odeur, énergie, visuel, …pour proposer des « good place to work », des lieux agréables avec différentes types d’ergonomie et d'espaces, au sein desquels, si la politique du clean desk rend le lieu de travail moins personnel que le bureau individuel, la personnalisation des communs en fait un attribut fédérateur de la culture d’entreprise. Quelque soit l’angle des projets d’évolution de l’environnement de travail (satisfaction des collaborateurs, recherche de performance, recherche coût, marque employeur et attractivité), l’identification des besoins métier en amont des projets et la conduite du changement sont clés pour faire évoluer les espaces de travail, de même que le suivi de ces environnements dans le temps, afin que les espaces de travail continuent de correspondre aux enjeux de l’entreprise au fil des mois et des années.
Les nouveaux lieux de travail et la flexibilité offerte par le travail à distance modifient en profondeur la relation au management. Les intervenants s’accordent sur la nécessité d’accompagner les managers dans leur nouveau rôle, moins « command & control » quotidien mais plus dans le pilotage d’une activité, un rôle de facilitation, de coach qui s’assure que le collaborateur à distance a tous les moyens pour travailler, qui développe l’employabilité, encourage la créativité par la mutualisation des espaces inter-entités… En face de cet idéal managérial, qui flirte avec l’entreprise libérée et vise un collaborateur autonome et performant, les intervenants rappellent également le rôle de la réglementation, qu’il s’agisse des CHS-CT comme du droit à la déconnexion.
Collaboratif : piloter, gouverner et accompagner les projets de transformation
La 3e table ronde sur le thème de « repenser l’accompagnement des collaborateurs dans une perspective collaborative » m’a donné la chance de remonter sur scène pour parler accompagnement des projets collaboratifs, une des thématiques phare de mon expérience avec Arctus. Là encore, le rôle clé du management de proximité a été mis en exergue, notamment par l’intervention remarquée de Josiane LIEGEOIS, responsable formation au sein du Groupe Thalès. L’expérience du PMU, représenté par son DRH Bruno FRANKIEL, a également permis de mettre en lumière l’importance de piloter son projet de transformation, à partir d’un objectif clair au départ, et d’indicateurs précis et mesurables. Le débat a porté sur la problématique du temps : les organisations font aujourd’hui face à l’injonction urgente de se transformer alors que l’expérience montre qu’il faut entre 9 mois et un an pour constater l’adhésion aux nouveaux modes de travail collaboratif et ses premiers bénéfices pour l’entreprise. J’ai pu également rappeler l’importance d’une gouvernance claire pour tous les acteurs : en matière d’outils collaboratifs, comme dans la société, la confiance ne se décrète pas, elle résulte aussi d’un univers réglementé où chacun connait son rôle et sait que des règles et des lois s’appliquent. Avec tous les intervenants, nous nous sommes accordés sur la nécessaire volonté de l’entreprise, impulsée au plus haut niveau, de transformer les manières de travailler. De cette volonté peuvent découler des moyens, qu’il s’agisse d’outiller tous les collaborateurs de l’entreprise y compris les personnels non connectés, ou encore d’accompagner sur le terrain au travers notamment de rencontres physiques, comme l’a rappelé justement Olivier DEROUBAIX, associé Fondateur de OVERTHEMOON. Pour conclure, ce n’est pas un mais bien des plans de conduite du changement qu’il faut décliner, selon les populations, les objectifs, les bénéfices attendus dans une perspective de travail collaboratif.
Collaboratif : passer de la qualité de vie au travail aux conditions pour un travail de qualité
La dernière table ronde portait sur les nouveaux modes de travail collaboratifs comme vecteurs de qualité au travail et de performance. Elle rassemblait Laurent COBAC, Consultant senior & Psychologue clinicien chez EMPREINTE HUMAINE, Thomas CORNET DG & Co-Fondateur de WITTYFIT.
Comme le travail collaboratif, l’innovation et l’agilité ont beau être à la mode, elles ne se décrètent pas. Ceux sont certes des tendances de fond, impératives pour les organisations, mais avant tout des moyens au service de l'entreprise et de sa performance. Décloisonner, ouvrir, accélérer la circulation de la connaissance, libérer la créativité et les énergies, sont de belles promesses mais là aussi, le changement de modèle ne se décrète pas. Ainsi, les intervenants se sont accordés pour dire que les collaborateurs font aujourd’hui face à des injonctions paradoxales : il faut être agile, innovant, épanoui, etc. mais ils n’ont pour autant pas le droit à l'erreur, pas le droit d'expérimenter,… Selon les experts réunis à cette table ronde, c’est la posture de manager coach qui induit plus de collaboratif, qui doit suivre une exemplarité du top management. Le problème est souvent lié au décalage entre travail prescrit et travail réel : autrement dit, ceux qui prennent les décisions dans les organisations ne font plus ce travail depuis longtemps. Par ailleurs, la pression des usages numériques induit plus d’intolérance à la frustration, moins de patience, tandis qu’au contraire, les collaborateurs ont besoin de plus de sens et de cohérence dans les actions menées, ce qui nécessairement demande du temps… Une des intervenantes rappelle qu’en Hollande, l’employeur paye le salarié pendant un an s’il souffre d’un burn-out, ce qui explique sans doute l’effort fait pour améliorer la qualité de vie au travail. En effet, la notion de qualité de vie au travail emmène le meilleur environnement de travail mais aussi la régulation des temps avec cette porosité et cet empiètement entre privé et professionnel. Si les études tendent à montrer que la QVT engendre 20% de performance en plus dans les entreprises qui ont une politique en la matière, la question essentielle selon les intervenants n’est pas celle de la qualité de vie au travail mais bien des conditions dont les collaborateurs disposent pour faire un travail de qualité... Il s’agit moins de Chief Happiness Officer, que d’un management quotidien qui accorde reconnaissance, autonomie et confiance...
Un bel après-midi qui, au-delà du lieu exceptionnel des Folies Bergères, donnait à réfléchir sur les mutations importantes de nos organisations en pleine transformation digitale... Gageons que fort de ces 20 années, Sup des RH forme et continuera de former de futurs professionnels RH enthousiastes à l’idée d’aborder un monde du travail en pleine mutation ! Belle continuation à tous !
Pour en savoir plus :
Si les sujets du travail collaboratif, je vous invite à vous inscrire au SPOC Travail collaboratif, conçu par Arctus et la start-up Unow, une prochaine session est programmée en juin... Stay tunned !
par Gaëlle Roudaut