Le monde est incertain, imprévisible, VUCA, … quels que soient les qualificatifs employés, l’actualité que nous traversons, crise sanitaire, économique, sociale, ou encore écologique, montée des extrêmes, terrorisme, nous le confirment chaque jour… Un monde qui par ailleurs s’accélère, au rythme des nouvelles technologies, des innovations de rupture et de la « transformation digitale » de nos relations aux autres, à la société, au travail … Un monde qui nous assène d’injonctions : se transformer, performer, réussir, … depuis l’école primaire jusqu’au monde de l’entreprise, s’immisçant également dans la sphère personnelle, familiale, voire dans nos loisirs : il n’y a pas un jour où un nouveau livre ne nous apprend comment devenir de supers parents (et positifs en plus !), où une nouvelle appli qui nous permet d’enregistrer nos performances sportives et de les comparer à celles de nos pairs, … On nous enjoint même à pratiquer la méditation de pleine conscience afin de réapprendre à diriger notre attention sur le moment présent. Autant de raisons et d’injonctions qui expliquent sans doute la recrudescence des burn-out -syndrome d’épuisement professionnel désignant un état de fatigue lié à un stress permanent et prolongé. Mal psychologique du 21e siècle, symptôme d’une société en souffrance (oui je ne suis pas dans une de mes journées les plus optimistes !), le burn-out concerneraient 17% des français qui déclarent l’avoir déjà vécu selon les données de mars 2019 de Statista.
Persuadée que les entreprises ont un rôle à jouer au-delà de certaines mesures "pacotilles" sur le bien-être au travail, pour lutter contre les risques psycho-sociaux et l’épuisement professionnel, et en particulier dans cette période délicate pour les salariés où les relations à distance avec le collectif de travail peuvent être délétères et sources de stress, j’ai voulu dans ce billet explorer le phénomène du stress avec la grille de lecture de Sandra Boré, fondatrice d’EfferverScience, scientifique, et ancienne conceptrice pédagogique dans la prévention santé. Elle a notamment travaillé avec des médecins sur la prévention du stress et du burn-out, avant d’en faire elle-même l’expérience à trois reprises.
Une maison qui brûle de l’intérieur
L’image pour parler de burn-out est souvent celui d’une maison qui aurait brûlé de l’intérieur mais dont les murs extérieurs seraient intacts … D’un point de vue biologique, le stress que l’individu rencontre au cours de la journée, entraine la libération de cortisol par les glandes surrénales. En tant normal, libéré entre 6h et 8h du matin, le cortisol intervient dans la métabolisation des glucides, protides et lipides et agit notamment de façon à équilibrer le taux de glucose dans le sang afin de répondre à nos besoins énergétiques au cours de la journée. Le cortisol joue également un rôle anti-inflammatoire et participe à la régulation de notre sommeil. S’il est associé au stress, c’est parce qu’en face d’un danger, lorsque notre organisme va être boosté par l’adrénaline, entraînant une accélération de la pression artérielle, la dilatation des bronches, etc. autrement dit facilitant l’accès à une grande dose d’énergie pour affronter le danger perçu, le cortisol va transférer l’énergie là où nous en avons le plus besoin (muscles, …). Quand le stress n’est plus occasionnel mais fait partie de notre quotidien, le cortisol finit par atteindre notre système immunitaire, qui « s’oxyde » participant d’un véritable incendie intérieur. A la fatigue, succède l’épuisement petit à petit… jusqu’à l’effondrement (Pardonnez tous mes raccourcis, je ne suis pas scientifique, mais j’essaye juste ici de poser les bases pour la bonne lecture de la suite 😉).
Nous appartenons à ce que Sandra Boré appelle la « génération suPerformance » : de l’éducation de nos parents, à l’école, nous sommes encouragés à faire toujours plus, toujours mieux, … une quête de « suPerfection » qui est supposée nous apporter reconnaissance et intégration au sein du groupe social auquel nous appartenons, mais qui génère en réalité une pression et un stress permanent, dans un monde devenu complexe et particulièrement incertain. Lorsqu’on y ajoute la culture du jugement très vivace dans l’entreprise comme dans la société, le filtre « compétitif » des réseaux sociaux ou encore le culte de l’immédiateté, la sur-charge mentale du bon petit soldat finit par devenir très lourde, trop lourde…
Certes, une bonne hygiène de vie, la pratique du sport régulière et de bonnes habitudes alimentaires peuvent contribuer à nous préserver… à condition qu’il ne s’agisse pas là encore de nouvelles injonctions, à la performance ou à la perfection, qui entretiendraient la dynamique « du trop vouloir bien faire » au lieu de nous en préserver. Sandra Boré met ainsi en garde contre l’intellectualisation des astuces et autres trucs pseudo-scientifiquement prouvés qui peuvent continuer à alimenter le stress : « Le corps a ses limites que la raison ignore » indique-t-elle, ajoutant que « le cerveau est relié à un corps, et [que] c’est lui qui gagne à la fin ».
Vers l'écoute de soi
« Lorsque nos actions sont dirigées pour répondre aux besoins d’estime ou de reconnaissance, lorsque l’on agit uniquement pour les autres, on finit par s’oublier », explique Sandra Boré. Elle fait le parallèle avec la pyramide de Maslow que l’environnement professionnel et social peut parfois inverser, nous amenant à négliger nos besoins physiologiques au profit du besoin d’appartenance. Commencer par se reconnecter à soi, à son corps, afin de mieux cerner les émotions que l’on ressent (voir aussi mon article sur l’intelligence émotionnelle 😉) et ainsi d’entendre les signaux du stress est la première étape vers « l’écologie personnelle ». Cela suppose de se respecter pour être capable de dire non, pour s’autoriser à s’arrêter, poser des limites vis-à-vis de soi comme des autres.
Sandra Boré invite ainsi à une écoute du je (soi-même) et du jeu (là où chacun prend plaisir, se ressource, …) : quels sont les travaux/sujets qui vampirisent notre énergie ? quels sont au contraire les activités qui nous ressourcent ? Certains trouveront ces ressources dans la méditation, le yoga, d’autres dans la cohérence cardiaque, le dessin, la créativité, la musique, le jardinage… Chaque recette de « stress défense » est personnelle. Et pour trouver les ingrédients qui nous correspondent, Sandra Boré nous invite à nous reconnecter à notre enfant intérieur : qu’aimions-nous faire plus jeune pour nous ressourcer ? La psychothérapie comme le coaching peuvent constituer des clés pour accéder à ces réponses.
La théorie PolyVagale : le stress, cet ami qui nous veut du bien
Une autre clé de lecture que Sandra Boré nous propose d’explorer, est celle de la théorie PolyVagale, développée par le Dr. Stephen Porges. Issue des recherches en neurobiologie, elle nous apprend notamment que notre système nerveux autonome, chargé de nous protéger en évaluant la sécurité et le risque, dans notre corps et autour de lui, comme dans les interactions que nous avons avec les autres, a trois modes de réponses principaux :
- Le mode dit « Vagal ventral » : ce mode est activé lorsque nous nous sentons en sécurité, en pleine confiance, dans notre environnement comme dans la relation avec l’autre. Dans ce mode, tout est fluide, se déroule dans la bienveillance, le bien-être.
- Le mode dit « Sympathique » : quand nous percevons un niveau de danger, automatiquement la sécrétion d’adrénaline est engagée, toute notre énergie est tout à coup mobilisée pour nous permettre de combattre ou de fuir. Lorsque nous sommes en sur-adaptation permanente par rapport à un environnement, ou encore dans les logiques de suPerformance ou de suPerfection décrites plus haut, nous restons dans cet état très énergivore et épuisant à long terme, explique Sandra Boré.
- Le mode « Vagal Dorsal » : en face d’un danger auquel il nous est impossible d’échapper, nous pouvons être tétanisés, paralysés, repliés sur nous-même. C’est la stratégie du nerf vague, acteur principal de notre système nerveux autonome, pour préserver notre énergie. Elle permet de revenir ensuite à la normal, après un temps pour se ressourcer.
« Tous ces états sont faits pour nous protéger », explique Sandra Boré, « nous changeons d’état 1000 fois par jour, un simple rayon de soleil peut nous procurer le sentiment de sécurité et de bien-être du mode vagal ventral ! » Savoir décoder les trois modes et surtout quel type de situation nous met dans quel état peut nous aider à trouver notre « écologie personnelle ». Celle-ci pourra d’ailleurs dépendre des moments de la journée, des saisons, des moments de la vie personnelle et familiale. Utiliser les enseignements de la théorie Polyvagale pour faire du stress un système d’alarme et se recentrer sur ces besoins (bulle de ressourcements, besoins physiologiques, …) aide aussi à prendre du recul sur les messages contraignants de la suPerformance et de la suPerfection, ou au moins à les écouter uniquement si l’enjeu en vaut la chandelle !
Libérer son potentiel et renouer avec le plaisir
Une fois que l’on a compris que le stress fonctionne comme une alarme, et que les trois états sont OK, il est plus facile de mieux mobiliser ses différents niveaux d’énergie : par exemple, quand on est trop dans l’action, d’introduire des temps de pause, des bulles pour se ressourcer, ou bien au contraire, de savoir quand profiter de sa haute énergie.
Car se reconnecter à soi, à son enfant intérieur, identifier les moments où l’on est en mode « vagal ventral » est aussi un bon moyen de se reconnecter à ses talents, à ce que l’on fait de mieux et ce que l’on aime faire. « Notre vision occidentale du travail est très associée à la souffrance, mais pourquoi cela doit-il toujours être compliqué, intense, dur, sérieux… », ajoute Sandra Boré. Cessons de donner raison à l’étymologie latine du travail « tripalium » et d’en faire une torture : « lorsque l’on réalise des activités dans lequel on peut s’épanouir et prendre du plaisir, non seulement, nous sommes plus performants mais c’est aussi plus écologique, moins énergivore, pour nous », explique Sandra Boré. Identifier dans son fonctionnement personnel ce qui nous ressource vraiment, son terrain de je(u) épanouissant permet également de faire tomber les masques liés à la sur-adaptation sociale, synonyme de fonctionnement en mode automatique comme un robot sans émotions, ou de perte d’identité noyée dans les stratégies caméléons. C’est une façon de surfer sur son énergie et de savoir lâcher-prise lorsque c’est nécessaire pour la préserver. Le mode « vagal dorsal » peut ainsi contribuer à nous ressourcer. Quant au « flow », cet état mental que l’on atteint lorsque nous sommes complètement plongé dans une activité, combinant concentration, plein engagement et satisfaction dans son accomplissement, s’il reste l’état ultime, selon Sandra Boré, il ne doit pas devenir cette énième injonction d’une fin en soi.
Et parce qu’il n’y a pas de recette toute faite, Sandra Boré propose de découvrir dans un cheminement en 12 étapes, de nombreuses clés pour se reconnecter à soi et pour identifier son terrain de je(u). Autant de pistes que chacun pourra explorer à son rythme, en prenant en compte l’écologie de ses besoins, et qu’elle est en train de rassembler au sein d’un ouvrage pédagogique et grand public, véritable synthèse de l’ensemble de ses recherches, et des contenus qu’elle diffuse via son blog EfferveScience, formations, ateliers et vidéos (Pour soutenir son projet, actuellement en pleine campagne sur Kisskiss BankBank, vous pouvez précommander l’ouvrage ici !)
Si vous aimez cette sketchnote, rendez-vous sur mon site www.lapatateatwork.com pour en voir davantage 😉
Parce que cette année 2020 est particulièrement difficile, que notre expérience de la crise est à la fois individuelle et collective et nous met à l’épreuve au plan sanitaire, économique mais aussi dans nos relations interpersonnelles, qu'elle questionne le regard que nous portons sur notre place dans la société, profitons peut-être de ce nouveau confinement pour prendre le temps de l’introspection, ou en tous cas, à tout point de vue, pour prendre soin de nous 💚 💚 💚
(et ceci n’est pas une énième injonction ! )
par Gaëlle Roudaut